Par Abed Charef
Une grave crise secoue les relations algéro-maliennes depuis l’affaire du drone abattu dans la nuit du 31 mars au 1er avril par la défense anti-aérienne près de la ville frontalière de Tin Zaouatine.
Dans le flux d’accusations mutuelles liées à l’incident et des mesures de représailles annoncées à la suite de l’incident, le Mali a décidé le 6 avril de se retirer du Comité d'état-major opérationnel conjoint (CEMOC). La décision devait avoir un effet immédiat.
Cette décision est passée relativement inaperçue. Elle donne pourtant à l’incident du drone un sens très particulier. Le jour où le drone a été abattu, le Mali faisait encore partie du CEMOC, cet organisme regroupant le Mali, la Mauritanie, le Niger et l’Algérie, créé en 2010 pour lutter notamment contre le terrorisme et le trafic de drogue dans la région du Sahel.
Or, le Mali a fait voler un drone dans la zone frontalière avec l’Algérie , de nuit, sans en informer le CEMOC, selon le général Medjahed, directeur de l’Institut d’Etudes Stratégiques Globales. C’était un vol effectué la veille de l’Aïd, un moment où l’attention est plutôt relâchée, pour surveiller une réunion de «terroristes», selon le gouvernement malien.
Des doutes légitimes
Pourquoi le Mali n’a pas informé le CEMOC ni la partie algérienne à propos du vol de ce drone, de son itinéraire et et éventuellement de sa mission?
Plusieurs hypothèses sont avancées. Nous en citerons trois.
Les maliens voulaient profiter d’un moment où la vigilance est supposée relâchée pour monter une opération contre des opposants qui ont pris les armes contre le pouvoir en place à Bamako, et qui sont supposés se réfugier dans la région frontalière avec l’Algérie, voire en territoire algérien, selon les accusations portées par les autorités maliennes.
Cette hypothèse a comme base une divergence fondamentale entre l’Algérie et le Mali. Les Maliens considèrent les mouvements Azawed comme terroristes, alors que l’Algérie, qui avait réussi à les convaincre de signer l’accord d’Alger, les considère comme des opposants en rupture de ban précisément parce que le pouvoir malien a manqué à ses engagements concernant l’accord d’Alger.
L’Algérie fait ainsi le distinguo entre ce qu’elles considère comme des mouvements politiques légitimes, ayant des revendications raisonnables, et les groupes terroristes, liés à l’islamisme radical, qui pullulent dans la région.
Ce désaccord est à la base de la crise entre les deux pays. L’Algérie considère qu’il n’y a pas de solution autre que politique et consensuelle à la crise malienne, alors que l’équipe autour du président Assimi Goïta estime possible d’imposer une solution par la force, quitte à s’appuyer sur des forces étrangères, les troupes Wagner en l’occurrence.
Provocation délibérée?
La seconde hypothèse pour expliquer l’incident du drone malien serait celle d’une provocation délibérée malienne, pour rompre définitivement avec l’esprit de l’accord d’Alger, et entrer dans une phase ouvertement conflictuelle avec l’Algérie. C’est un parti risqué, aventureux, pour un pays extrêmement démuni, ne disposant ni d’institutions solides, ni d’une économie viable, ni d’une armée performante.
Avec des pans entiers du territoire qui échappent au contrôle de l’Etat central, un PIB par habitant inférieur à 1.000 dollars et un indice de développement humain qui le classe parmi les dix pays les plus pauvres du monde, le Mali n’est pas en mesure d’assumer une situation conflictuelle ni une animosité avec son voisin du nord.
Ce qui ouvre la voie vers une troisième hypothèse, abondamment évoquée sur les réseaux sociaux, même si elle n’est pas suffisamment documentée: l’incident du drone serait une provocation malienne mais elle est menée pour le compte d’une force tierce.
Sur ce terrain, toutes les hypothèses sont ouvertes. Des plus sérieuses aux plus fantaisistes, elles sont abondamment évoquées sur les réseaux sociaux. Mais elles ont d’ores et déjà provoqué une surenchère qui laissera des traces: rappel des ambassadeurs, interdiction des vols dans l’espace aérien des deux pays. Elles ont même débordé le cadre bilatéral, pour inclure les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES, Niger et Burkina-Faso), qui ont apporté leur soutien au Mali.
S’il est difficile d’imaginer que toute cette surenchère est probablement partie d’un acte délibéré malien, il est par contre aisé de confirmer la théorie selon laquelle il est facile de provoquer un conflit, mais très difficile de prévoir jusqu’où l’engrenage du conflit va mener.