Abed Charef
Est-ces les relents d’un passé colonial? Est-ce l’arrogance des puissants, ou ceux qui se croient comme tels? Toujours est-il que deux dirigeants occidentaux n’ayant aucun lien avec le Sahara Occidental ont tenté d’influer sur le destin de ce pays. Et ces dirigeants ont décidé de prendre ce virage brutal pour faire un cadeau au Maroc au moment où eux-mêmes étaient délégitimés dans leur propre pays.
Ainsi, plus d’un mois après avoir perdu l’élection présidentielle de 2020, le président américain Donald Trump décidait, par un simple tweet, que le Sahara Occidental était un territoire marocain. « Aujourd’hui, j’ai signé une proclamation reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental », a-t-il écrit le 10 décembre 2020.
De quel droit un dirigeant occidental, qui n’était même plus légitime chez lui, décidait du sort d’un territoire séparé de son propre pays par tout un océan ?
Après le retour au pouvoir de Donald Trump en janvier 2025, les choses semblent un peu plus nuancées. Certes, le secrétaire d’Etat Marco Rubio a repris cette position pro-marocaine, mais le haut conseiller du président Trump aux affaires arabes et africaines, Massad Boulos, a affiché une position différente. La « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental n’est pas «absolue» ni « fermée », mais dépend d’un «dialogue afin de parvenir à une solution qui contente les deux parties », a-t-il dit.
C’est plus conforme à l’attitude traditionnelle des républicains américains, dont l’un, James Baker, ancien secrétaire d’Etat sous George Bush père, a même assumé les fonctions d’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara Occidental pendant sept ans, de 1997 à 2004. Il avait même proposé un plan audacieux, prévoyant une autonomie temporaire avant un référendum d’autodétermination.
L’étrange virage de Macron
Le même travers se répète chez Emmanuel Macron qui, se trouvant dans une séquence politique ubuesque dans son propre pays, a voulu à son tour décider du sort du Sahara Occidental.
Macron a en effet pris sa décision dans la conjoncture la plus défavorable de ses deux mandats. Son parti perd les élections européennes du 9 juin 2024. Dans la foulée, il annonce la dissolution de l’Assemblée Nationale et des législatives anticipées, qui débouchent, le 7 juillet 2024, sur une véritable débâcle pour son parti.
Alors que la France était encore sous le choc de cette séquence totalement chaotique, Emmanuel Macron envoyait, le 30 juillet 2024, une lettre au roi Mohammed VI, pour lui dire que « le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine»!
Derrière le Maroc, Israël
Le comportement des deux hommes révèle ainsi une sorte d’attitude perverse: c’est comme si des dirigeants, ne pouvant plus exercer légitimement leur pouvoir chez eux, consacrent leur dernière énergie à faire subir le pouvoir à d’autres, plus faibles, plus vulnérables. Ils le font en offrant des cadeaux à des copains, des partenaire tiers, cadeau qu’ils ne pouvaient offrir en période normale.
Qui est le véritable destinataire de ce cadeau? Ce n’est pas le Maroc, mais Israël. Pour le président Trump, les choses étaient assumées: le Maroc était publiquement récompensé pour avoir rejoint les fameux accords d’Abraham, par lesquels le président américain a poussé un certain nombre de pays arabes à normaliser leurs relations avec Israël pour arriver à une solution au Proche-Orient sans les Palestiniens.
Pour Emmanuel Macron, l’explication est ambiguë, non avouée, mais elle est dans la même logique d’un axe regroupant France, Israël et Maroc. Une alliance portée par un symbole: Boualem Sansal, écrivain algérien qui avait pris la nationalité française en 2024, et qui fait des déclarations tonitruantes sur des sujets sensibles, pour être finalement condamné à cinq ans de prison en Algérie.
D’abord, M. Sansal s’attaque à l’Algérie, à travers son histoire, ses frontières, ses héros, ses symboles; ensuite, il fait l’éloge du Maroc, et lui attribue tout un pan de l’ouest algérien, alors que l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc depuis 2021; en outre, l’homme avait multiplié les déclarations d’allégeance à Israël, dans une période où il était encore un haut fonctionnaire algérien; enfin, une bonne partie de la France officielle, jusqu’au président Macron lui-même, déclare sa passion supposée pour cet écrivain et se lance dans une campagne d’intimidations, de menaces et d’ultimatums pour exiger sa libération.
Un colon soutient un autre colon
Sansal prône l’élargissement du territoire du Maroc. Aux détriments de l’Algérie et du Sahara Occidental. Une agitation à-priori profitable au Maroc. En réalité, c’est de l’écume. Car si une puissante propagande peut occulter les faits pendant un moment, la réalité finit par s’imposer. Donald Trump et Emmanuel Macron peuvent bien faire des cadeaux au Maroc, les données du problème ne changent pas. Du reste, au début du conflit du Sahara Occidental, les deux pays avaient soutenu à fond le Maroc, et l’aviation française était même intervenue pour bombarder les colonnes du Polisario. Cela n’avait pas permis au Maroc d’imposer ses thèses.
Comment pouvait-il d’ailleurs en être autrement, si on rappelle ce fait d’histoire: quand l’Espagne s’était retirée du Sahara Occidentale en 1975, le Maroc s’était entendu avec la Mauritanie pour partager le territoire du Sahara Occidental. Le Polisario avait alors axé ses attaques contre la Mauritanie, qu’il considérait comme le maillon faible de l’occupant. Sa stratégie avait payé, et la Mauritanie, subissant de lourdes pertes, avait quitté le territoire.
C’est alors que le Maroc, au nom d’un absurde «droit de préemption», avait occupé l’ancienne partie «mauritanienne» du Sahara Occidental. Comment un pays, sûr de son droit, pouvait offrir une partie de son territoire à un autre Etat, pour tenter de la récupérer ensuite?
Ce n’est que l’un des multiples paradoxes de ce conflit où des puissances lointaines tentent d’imposer leur vision des choses, un conflit où un pays prétend obtenir la caution des puissants pour conserver un territoire occupé par la force, une caution obtenue en soutenant une autre occupation, celle de la Palestine.