Moncef ABDELAZIZ
Consultant - Conseil stratégique
Lorsqu’un produit devient culte, il attire forcément les convoitises. C’est exactement ce qui arrive à El Mordjene, la célèbre pâte à tartiner algérienne aux noisettes grillées. Véritable star des petits-déjeuners depuis son lancement, le produit phare de l’entreprise Cebon, basée à Fouka, est aujourd’hui victime de son succès. Et la menace vient de l’étranger.
Depuis que les autorités françaises ont suspendu l’importation d’El Mordjene les linéaires des supermarchés français se sont vidés. Mais pas pour longtemps. Très vite, des produits d’imitation ont fait leur apparition. Parmi eux, Nella Délice, fabriquée en Turquie, qui n’hésite pas à emprunter des codes visuels rappelant étrangement ceux d’El Mordjene, tout en se présentant comme un produit "d’inspiration algérienne". Un clin d'œil évident à la diaspora algérienne en France, toujours à la recherche de saveurs authentiques du pays.
Cebon réagit fermement : “Ce n’est pas nous !”
Face à cette offensive, la réaction de Cebon ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué officiel, l’entreprise dénonce une "usurpation manifeste" de son identité visuelle. Sans nommer directement Nella Délice, le message est limpide : “Nos produits sont exclusivement fabriqués en Algérie. Toute version prétendument similaire, produite ailleurs, est une contrefaçon.” Au-delà de la déclaration, Cebon promet de se défendre juridiquement. Mais la marque insiste surtout sur un point fondamental : ces copies risquent de tromper les consommateurs et de ternir la réputation d’un produit devenu symbole de qualité et d’attachement culturel.
La contrefaçon, une menace silencieuse pour les marques algériennes
L’affaire El Mordjene n’est pas un cas isolé. Elle met en lumière un problème plus vaste : les marques algériennes, dès qu’elles commencent à rayonner au-delà des frontières, se retrouvent confrontées à des copies illégitimes. Une atteinte directe à la réputation de l’entreprise. Un client qui tombe sur un “faux” El Mordjene, de qualité inférieure, risque d’être déçu… sans même savoir qu’il n’a jamais goûté l’original. Le tort revient alors à la marque authentique, qui voit sa crédibilité entachée.
Des pertes économiques considérables. Chaque pot de pâte à tartiner vendu par un contrefacteur est une vente perdue pour Cebon. Or, derrière un pot, il y a des emplois, des investissements, et une vision à l’export.
Une barrière supplémentaire à l’exportation
Les entreprises algériennes comme Cevital, Condor, Faderco ou Palmary nourrissent de vraies ambitions internationales. Mais sur les marchés étrangers, elles doivent souvent se battre deux fois : la première pour se faire une place sur des marchés fortement concurrentiels et une seconde pour se défendre contre de pâles copies, parfois mieux distribuées.
Contrefaçon : comment réagir intelligemment ?
Cebon — et d’autres entreprises algériennes — peuvent transformer cette menace en opportunité. Voici quelques pistes concrètes :
Protéger sa marque à l’international
Déposer ses logos, slogans, emballages et recettes dans les pays ciblés est un réflexe à adopter dès les premiers succès à l’export. Il faut agir vite, se faire conseiller par des spécialistes, demander de l’aide.
Raconter son histoire : le brand story-telling
Dans un monde saturé de marques, ce qui fait la différence, c’est l’authenticité. Une campagne de communication bien menée, qui raconte l’origine algérienne du produit, ses valeurs, son ancrage culturel, peut toucher le cœur des consommateurs et les détourner des imitations.
Nouer des partenariats stratégiques en Europe
Pour contourner les barrières réglementaires, pourquoi ne pas envisager une production sous licence ou en co-branding avec des partenaires européens ? Cela garantirait la conformité tout en gardant l’âme du produit.
Impliquer la diaspora
La communauté algérienne à l’étranger est une alliée précieuse. Elle peut devenir un relais de communication, de vigilance, voire de lobbying. Et pourquoi pas un label “Origine Algérie garantie”, pour reconnaître les produits authentiques dans les rayons ?
Une affaire El Mordjene qui dépasse la simple pâte à tartiner
Ce que vit El Mordjene aujourd’hui, d’autres marques algériennes pourraient le vivre demain. Ce n’est pas qu’une question de commerce. C’est une question d’identité, de souveraineté économique
Dans chaque crise se cache une opportunité. Cebon, comme d’autres, peut ressortir plus forte de cette épreuve. Le marché est vaste, il faut anticiper les menaces et se préparer a de longues batailles pour s’imposer. La réussite ne sera pas une affaire de chance, mais de constance, d’organisation et de sérieux.