Moncef ABDELAZIZ
Consultant - Conseil stratégique
L’État algérien a pris l’initiative d’importer un million de moutons à l’occasion de l’Aïd el-Adha 2025. Cette décision économique vise à rééquilibrer un marché en crise et surtout elle permettra de soulager la pression sur les familles. Bien que coûteuse, une telle action s’impose comme une réponse rationnelle aux dérives observées ces dernières années, Trop d’abus, laissant le consommateur victime de diverses formes d’excès.
Spéculation et flambée des prix : un marché devenu inaccessible
En réalité, le prix du mouton de l’Aïd connaît une inflation incontrôlée et cela depuis plusieurs années. Dans certaines régions, le coût unitaire dépasse 100 000 DA, atteignant parfois 150 000 DA pour un mouton de taille moyenne. Des niveaux de prix qui dépassent largement les capacités financières de la majorité des ménages algériens, déjà confrontés à d'autres charges essentielles.
Pourquoi de tels prix ?
La réponse tient en grande partie dans les pratiques spéculatives de certains intervenants dans la chaîne.
De trop nombreux intermédiaires entre éleveur et consommateur final, chacun ajoutant sa marge. On assiste alors à de l’opportunisme malsain dans une période pourtant censée être placée sous le signe de la piété, de la solidarité et du partage. Ce décalage entre l’esprit de fête et les pratiques du marché crée un malaise profond chez le citoyen.
Un stockage artificiel du cheptel à l’approche de l’Aïd pour raréfier l’offre.
• À l’approche de l’Aïd, ces intervenants adoptent des pratiques qui contribuent à faire monter artificiellement les prix : le stockage volontaire du cheptel ; retenir les moutons au lieu de les proposer à la vente à prix raisonnable. L’objectif est simple : créer une impression de rareté, réduire temporairement l’offre sur le marché et ainsi faire grimper les prix, profitant de la forte demande à l’approche de cette fête religieuse. Cette stratégie, purement spéculative, n’a rien à voir avec les lois naturelles de l’offre et de la demande. Elle pénalise directement le consommateur final, souvent contraint de payer beaucoup plus cher un mouton, malgré une offre globale suffisante à l’échelle nationale. C’est justement ce genre de dérive que l’intervention de l’État cherche à corriger, en injectant une offre alternative, importée à prix maîtrisé.
• Une demande concentrée sur une courte période, qui pousse les prix vers le haut, une pratique devenue règle malgré la bonne volonté du régulateur de rendre accessible l’achat religieusement et culturellement important pour l’algérien.
Ces pratiques ont eu pour conséquence directe l’exclusion de milliers ce de familles, obligées de s’endetter pour préserver une tradition religieuse à forte charge symbolique.
Une bonne saison agricole mais un marché déséquilibré
Ironiquement, l’année 2025 a connu une saison des pluies généreuse, favorable aux pâturages et donc à l’élevage. En théorie, cela aurait dû se traduire par une offre abondante et des prix stables. Dans la réalité, le marché reste conséquemment dominé par la spéculation, et la loi de l’offre et de la demande est biaisée par l’intervention massive d’intermédiaires. Comme dans d’autres secteurs, ces opportunistes cherchent à profiter de la conjoncture particulière de l’Aïd, en misant sur une forte demande pour maximiser leurs marges. Cette période devient pour certains l’occasion rêvée pour s’enrichir plutôt qu’un moment de solidarité. Ce type de comportement contribue à alimenter la hausse des prix, rendant l’accès au mouton plus difficile pour de nombreuses familles.
Dans ce contexte, l’intervention de l’État agit comme un levier correcteur pour assainir le marché
Une mesure pour rééquilibrer le marché et soulager les ménages
En important un million de moutons, l’État augmente mécaniquement l’offre disponible sur le territoire. Cela entraîne plusieurs effets immédiats :
1. Baisse drastique des prix : les moutons importés sont proposés à 40 000 DA, soit une réduction de 50 à 70 % par rapport aux prix pratiqués dans les circuits informels.
2. Moins de dépendance aux circuits spéculatifs : la distribution passe par des canaux publics et organisés, coupant court à la logique des marges successives.
3. Un soulagement pour le consommateur : de nombreux foyers pourront enfin fêter l’Aïd sans s’endetter ni sacrifier d'autres priorités comme la rentrée scolaire et les autres dépenses de l’année.
4. Quelle est la solution ? Que faut-il faire pour alléger cette charge sur le citoyen?
Une action de solidarité : une chance que d'autres pays n'ont pas
Dans certains pays voisins, l’État n’intervient jamais, laissant le citoyen trouver des alternatives: pénurie d’animaux, envolée des prix, voire absence de moutons dans les marchés. Des citoyens contraints de renoncer totalement à la fête. Au Maroc, les autorités ont appelé cette année les citoyens à renoncer au sacrifice du mouton pour l’Aïd, « en raison de la grave sécheresse qui a fortement réduit le cheptel national ». Cette décision met en lumière les conséquences de l’absence de solutions alternatives. Aucun dispositif d’accompagnement, aucune importation ni encadrement du marché n’a été mis en place. Résultats : des familles privées d’un rituel profondément ancré dans la tradition, des enfants déçus, et des citoyens confrontés à l’impossibilité de réaliser un acte religieux qui revêt pour eux une grande importance.
Cette situation illustre combien le manque de considération pour les sujets du royaume chérifien peut aggraver les frustrations et le sentiment d’abandon au sein de la population.
En Algérie, l’intervention anticipée de l’État, via l’importation massive, a évité un scénario de rupture d’offre et a permis de maintenir la tradition dans la dignité. C’est là une démonstration claire du rôle fondamental de l’État : réguler, protéger, amortir les chocs, et faire en sorte que les familles ne soient pas seules face à des marchés déconnectés de leur réalité.
Une décision responsable, malgré certaines critiques
Comme pour toute action publique, des voix critiques s’élèvent. Certains évoquent le coût élevé de l’opération, ou la concurrence avec l’élevage local.
Mais soyons clairs :
• L’élevage local n’est pas menacé par une opération ponctuelle et ciblée.
• L’objectif est de briser une logique spéculative, non de concurrencer les éleveurs sérieux.
Ceux qui critiquent trouveront toujours quelque chose à redire, même face à une mesure dont les bienfaits pour le citoyen sont clairs : accessibilité, régulation, et soulagement.
Cette action démontre que l’intervention publique, lorsqu’elle est bien pensée, peut apporter des solutions concrètes et efficaces.
En ces temps où chaque dinar compte, cette bouffée d’air est non seulement bienvenue, mais nécessaire