Souheila Battou
Journaliste et cinéaste
Il s’est éteint comme on ferme un rideau rouge. Le 23 mai 2025, Mohamed Lakhdar-Hamina quittait la scène, alors que Cannes célébrait les cinquante ans de Chronique des années de braise, le film qui lui valut la Palme d’or en 1975.
Le seul Africain, le seul Arabe à avoir jamais reçu cette distinction suprême. Une silhouette rare, debout dans l’histoire du cinéma comme on l’est dans celle des peuples : avec gravité, avec feu.
Il y a dans cette coïncidence une écriture plus grande que le hasard. L’œuvre qui ressurgit au moment même où son créateur disparaît. Un dernier travelling lent, une scène sans dialogue. Juste une lumière qui s’éteint d’un côté, pendant que l’image, elle, recommence à vivre.
Du rêve à l’écran
Il m’avait confié un jour, presque en chuchotant, que son premier contact avec le cinéma remontait à M’sila, dans les années d’enfance : des projections de rue, un drap tendu, des images dans la nuit.
Et puis, bien plus tard, avant même l’indépendance, c’est à Cannes qu’il travaille comme serveur.
Il y observe, en silence, le ballet des projecteurs, les visages des cinéastes, les voix venues d’ailleurs.
Son rêve de cinéma naît là, entre deux services, au cœur d’un monde qui ne le regarde pas encore, mais qu’il finira par marquer.
En 1958, la guerre l’appelle. Il rejoint le Gouvernement provisoire de la République algérienne à Tunis, découvre les actualités filmées, la puissance de l’image.
On l’envoie à Prague, à la FAMU, une école mythique.
Il y apprend à cadrer, à écrire sans mots, à saisir la lumière comme on saisirait un témoin d’histoire.
Cinéaste
À son retour, l’Algérie est libre. Il participe à la fondation du cinéma national : dirige l’Office des Actualités Algériennes, puis l’ONCIC. Il veut faire du cinéma un outil de souveraineté autant que de beauté.
Chronique des années de braise naît de cette urgence-là : raconter la lutte, faire entendre les voix enfouies, donner aux brûlures du peuple une forme qui résiste à l’oubli.
Ce n’est pas un film sur l’Histoire. C’est un film qui respire avec elle, qui la traverse comme le vent traverse le désert : avec violence, avec dignité.
Un film suspendu
Son dernier grand projet, Omar Mokhtar, devait raconter la révolte du résistant libyen face à l’occupation italienne.
Une fresque immense, portée un temps par le régime de Tripoli, puis abandonnée.
Le film ne verra jamais le jour. Il reste, comme certains rêves, suspendu entre la terre et l’écran.
La braise encore
Et pourtant, aujourd’hui, ses images résonnent dans d’autres territoires.
À Gaza, sous les ruines, dans les cris, dans les silences des mères et les regards d’enfants.
Même poids dans les visages. Même appel à ne pas détourner les yeux.
Chronique des années de braise aurait pu s’appeler Chronique des jours de feu.
Et la bande-son de l’Histoire n’a pas changé : des bombes, des cris, une humanité qui refuse de s’effacer.
Une lumière qui ne s’éteint pas
Il s’est effacé, mais ses plans restent.
Et peut-être que c’est cela, au fond, la véritable Palme :
Faire de chaque spectateur un héritier. Un témoin actif d’une mémoire que ni le temps, ni la guerre, ne peuvent faire taire.
Le rideau est tombé.
La boucle est parfaite.
À Dieu l’artiste. Chapeau bas.


