Par Redha Benyamina
Co-fondateur DIGIWAVES
Imaginez un champ de bataille sans bruit d’explosions, sans soldats visibles, mais où se joue pourtant le destin des nations. Ce front, c’est votre esprit. Et les nouveaux conquérants s’appellent TikTok, Facebook et X. Leur royaume ? Le territoire mental de milliards d’individus. Leur stratégie ? Une colonisation douce, addictive et d’une redoutable efficacité. Facebook, l’archiviste mondial, ne se contente pas de relier les gens. Il trace des autoroutes dans nos pensées. En Algérie, derrière les photos de famille et les groupes de discussion, l’algorithme transforme une simple recherche d’emploi en un chemin tout tracé, une pente savonneuse qui mène inexorablement vers le rêve de l’émigration. Il redessine ainsi, depuis la Californie, le destin de toute une jeunesse, creusant un vide existentiel et compétent dans le pays, sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré. X, l’agitateur professionnel, est le maître des émotions primaires. Il capture l’étincelle de colère d’un citoyen excédé par le prix de l’huile, et la jette dans son alambic à polémiques. En quelques heures, sous l’effet de comptes anonymes et de contenus incendiaires, l’étincelle devient un incendie qui embrase le pays. C’est l’ingénierie du chaos à la demande : un pouvoir étranger peut désormais, depuis un écran, commander une émeute et faire trembler un gouvernement, ses armes n’étant que des mots et des hashtags. Mais le plus perfide reste TikTok, le poète manipulateur. Il ne vous attaque pas de front, il vous séduit. Son algorithme est un jardinier de l’âme, qui ensemence l’inconscient de la jeunesse avec des danses, des dialectes et des valeurs venues d’ailleurs. Il ne construit pas un argumentaire, il cultive un désir. Le pays qui ignore ce jardin voit sa culture, ce ciment national, se dissoudre lentement, remplacée par une mondialisation numérique standardisée. La souveraineté n’est donc plus seulement une ligne sur une carte ; c’est la capacité d’un peuple à rester maître de ses rêves, de ses colères et de son identité. Ces plateformes, sans drapeau mais avec des serveurs tout-puissants, mènent la guerre de l’attention. Et la défaite, dans ce conflit silencieux, ne se signera pas sur un document, mais dans la résignation tranquille d’un peuple qui aura abdiqué son imaginaire au profit d’une réalité choisie par d’autres.