Par Abed Charef
Le ministère algérien des Affaires étrangères a asséné, lundi 17 mars, ce qui s’apparente à un coup de grâce au ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Une sanction qui peut toutefois se transformer en coup béni, car elle risque de propulser M. Retailleau sur le chemin de l’Elysée 2027, en lui offrant ce qui apparait actuellement comme le meilleur terrain électoral possible dans un pays occidental, celui de la dénonciation de l’émigration.
De quoi s’agit-il ?
Comme attendu, l’Algérie a annoncé, lundi 17 mars, qu’elle répondait par une fin de non-recevoir aux doléances du ministre français de l’intérieur, auxquelles elle oppose un rejet catégorique. M. Retailleau avait déclaré qu’il avait présenté aux autorités algériennes une liste d’une soixantaine de ressortissants algériens sous OQTF (obligation de quitter le territoire français), à expulser, et que faute de réponse favorable des autorités algériennes, il allait lancer une réponse « graduée » pour faire pression sur l’Algérie qui, selon lui, voulait une « humiliation » de la France. Il a même laissé entendre que si le président Emmanuel Macron et le Premier Ministre François Bayrou ne le suivaient pas dans cette confrontation, il quitterait le gouvernement.
Que comporte la réponse graduée de M. Retailleau ? En réalité, pas grand-chose. Une remise en cause de l’accord de 1968, qui définit les conditions d’installation des ressortissants algériens en France, et du protocole de 2007 visant à exonérer de visa les titulaires de passeports diplomatiques.
Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, ancien ambassadeur, a relevé l’aspect futile de ces accords. Le traité de 1968 n’apporte rien d’essentiel à la communauté algérienne, a-t-il déclaré. Il sert « juste d’instrument de propagande à la droite et l’extrême-droite française », a-t-il dit, ajoutant que, « à titre personnel », il était favorable à l’abrogation » de cet accord.
La réponse du ministère algérien des Affaires étrangères a été tranchée. « Les autorités algériennes ont décidé de ne pas donner suite à la liste soumise par les autorités françaises », indique un communiqué du ministère, précisant que la démarche française a été rejetée « dans le fond et dans la forme ». Sur la forme, les traités entre les deux pays prévoient des mécanismes et des procédures détaillées de mise en application de chaque accord, ce que la partie française n’a pas respecté. Sur le fond, le communiqué souligne que l’Algérie « n’est animée que par le souci de s’acquitter de son devoir de protection consulaire à l’égard de ses ressortissants ». Ce qui incite le ministère à dire que « l’Algérie réaffirme son rejet catégorique des menaces et des velléités d’intimidation, ainsi que des injonctions, des ultimatums et de tout langage comminatoire ».
Avec cette réponse algérienne, Bruno Retailleau se trouve dans une impasse. Soit il va aller plus loin dans la surenchère, mettant en péril les relations entre les deux pays, au moment où la France est en difficulté face à la Russie et dans le Sahel ; soit il constate son impuissance, et il en tire les conséquences en quittant le gouvernement. En tout état de cause, si la tension monte encore d’un cran, le président Emmanuel Macron sera obligé de le recadrer ou de le désavouer, tant l’argumentaire de M. Retailleau est malhabile, presque voire grossier.
Mais la cohérence ne semble guère faire partie des soucis de M. Retailleau. Celui-ci est sur une autre trajectoire : prendre la tête du pari Les Républicains, et en faire un tremplin pour la présidentielle de 2017.
Le pari est audacieux, mais risqué. Avec cette affaire, M. Retailleau s’est créé un profil très particulier : il est à la jonction de la droite traditionnelle et de l’extrême droite, un espace où pourrait se jouer la présidentielle de 2027. M. Retailleau pense être bien placé : il tient un discours d’extrême droite, sans appartenir formellement à cette mouvance.
Sa croisade contre l’Algérie tient en fait à ce pari. Mais elle peut se retourner contre lui. Particulièrement si l’opinion française découvre qu’il a délibérément agi en dehors des procédures, dans le but de faire échouer l’application des OQTF, poussant ainsi au pourrissement des relations algéro-françaises dans le seul but de servir ses ambitions politiques.