Ahmed ABDELKRIM
Dans un monde en recomposition, où les anciens pôles de domination économique se fissurent sous le poids des crises systémiques, un nouvel espace de coopération émerge : celui du Sud global. Loin d’être une simple revendication politique, ce mouvement prend désormais des formes concrètes, à travers des initiatives multilatérales, des rapprochements stratégiques et des dynamiques économiques endogènes. L’Afrique, longtemps considérée comme périphérie, y joue un rôle central — et l’Algérie s’y projette avec ambition.
Un continent en mouvement
La mise en œuvre de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) constitue un tournant historique pour l’Afrique. En abolissant progressivement les barrières tarifaires et non tarifaires entre 54 États membres, elle crée un marché unique africain de plus de 1,4 milliard de personnes, avec un produit intérieur brut cumulé estimé à plus de 3 400 milliards de dollars. Il ne s’agit pas simplement d’accélérer les échanges : la ZLECAf ambitionne de transformer les économies africaines de l’intérieur, en favorisant la production locale, l’industrialisation, et l’émergence de champions continentaux.
Pour l’Algérie, dont les exportations hors hydrocarbures restent modestes, la ZLECAf représente une ouverture stratégique. Le continent est son espace naturel, historique et géopolitique. En renforçant ses échanges avec les pays africains, en particulier ses voisins du Sahel, d’Afrique de l’Ouest et centrale, Alger peut amorcer une diversification structurelle de son économie — longtemps attendue, toujours reportée.
Un rôle à jouer dans le Sud global
Cette dynamique continentale s’inscrit dans un contexte plus large : celui de l’affirmation du Sud global comme acteur géopolitique autonome. Les BRICS élargis, les forums économiques régionaux, les corridors commerciaux Sud-Sud ne sont plus des concepts, mais des réalités en construction. Et dans ce cadre, l’Algérie dispose d’atouts indéniables pour jouer un rôle de premier plan.
Elle est aujourd’hui la deuxième puissance économique d’Afrique du Nord, dotée de ressources naturelles stratégiques, d’une base industrielle en croissance, d’une stabilité politique, et d’un positionnement géographique unique — entre Méditerranée et Sahara, entre Europe et Afrique profonde. Elle est aussi, par son histoire anticoloniale et sa diplomatie non-alignée, un interlocuteur respecté sur la scène africaine et arabe.
Miser sur les relations Sud-Sud
Pour que cette ambition devienne réalité, le renforcement des relations Sud-Sud doit devenir une priorité nationale. Cela implique de bâtir des partenariats industriels, logistiques et financiers durables avec les économies du continent — et pas seulement des accords de principe ou des missions ponctuelles.
L’Algérie doit encourager l’expansion de ses entreprises publiques et privées en Afrique, en soutenant leur implantation à travers des incitations financières, des outils de diplomatie économique, et des mécanismes de garantie souveraine. L’ouverture de filiales de banques publiques algériennes (BEA, BNA, CPA) dans les capitales africaines stratégiques serait un signal fort, tout comme le déploiement actif d’Air Algérie dans le ciel africain, au service du commerce et de la mobilité régionale.
Une diplomatie économique à repenser
L’avenir économique algérien ne se construira pas sans une diplomatie économique offensive et performante, pilotée avec rigueur. Nos ambassades, doivent se transformer en cellules d’intelligence économique et d’accompagnement stratégique, en lien avec les ministères sectoriels et les opérateurs économiques.
Il est temps de doter l’Algérie d’une stratégie africaine globale, fondée sur des indicateurs de résultats, des objectifs de pénétration de marchés, et une logique de présence active, visible et structurée. L’Afrique de l’Ouest francophone, l’Afrique Australe anglophone, la CEDEAO, la CEEAC, et la SADC doivent devenir des terrains prioritaires d’action commerciale et diplomatique.
Un projet collectif national
Il est clair qu’aucune ambition continentale ne se concrétise sans un effort collectif, à la fois étatique, privé et institutionnel. Le développement ne sera pas le fruit d’un seul acteur, mais le résultat d’un alignement stratégique entre l’État, les entreprises, les universités, les institutions financières et les relais diplomatiques.
C’est dans cette alliance qu’émergera le leadership africain de l’Algérie. Un leadership fondé non pas sur les sentiments et les beaux discours, mais sur la performance, la coopération et l’utilité économique.
Un leadership respectueux, qui contribue à la montée en puissance collective de l’Afrique, dans un monde où le centre de gravité économique se déplace vers le Sud.