Abed Charef
Ce sera le refrain de l’été : Boualem Sansal va bénéficier d’une mesure de grâce, peut-être dès le 5 juillet. La formule est répétée à l’infini dans les cercles médiatiques et politiques français. Ça donne l’impression que la chose est acquise, presque réalisée. C’est une simple question de temps, d’agenda, d’opportunité. Il ne reste plus qu’à connaître la procédure. Toute sortie de ce déroulé défini à l’avance, sera considérée comme une infraction à ce qui est supposé convenu, presque une trahison du bon sens, un manquement à la bonne tenue attendue des dirigeants algériens.
Pourtant, Boualem Sansal, condamné à cinq de détention lors de son procès en appel le 1er juillet 2025, n’a aucune chance d’être libéré dans l’immédiat. A moins d’un cataclysme dans la maison Algérie, tout ce qui se raconte sur sa libération relève de l’autosuggestion, de manoeuvres, de pressions et de manipulations, relevant le plus souvent d’un jeu politique interne en France.
Pour au moins cinq raisons. Boualem Sansal ne peut être libéré dans l’immédiat. La première est juridique. Une mesure de grâce ou d’amnistie ne peut être accordée que lorsque toutes les voies de recours ont été épuisées. Boualem Sansal dispose d’un délai légal pour dire s’il accepte la sentence ou s’il la conteste. Ce délai va au-delà de la date du 5 juillet.
Ensuite, ce serait trop grossier. La ficelle serait tellement épaisse, la combine tellement évidente, que ce serait ingérable pour le pouvoir algérien. Condamner un homme accusé de trahison et d’atteinte à l’unité nationale, pour le gracier aussitôt, est un acte impossible à assumer.
Autre raison qui exclut une libération imminente de l’écrivain, le contexte. M. Sansal est officiellement accusé de trahison. Il est, certes, de tradition en Algérie de gracier des détenus à l’occasion du 5 juillet, mais on ne gracie pas un traître, ou accusé comme tel, le jour de la célébration de la fête de l’indépendance. Sur le plan du symbole, ce serait là encore difficile, voire impossible à assumer.
Un ponte du régime passé chez l’ennemi
Dans l’optique française, Boualem Sansal est, selon la vision caricaturale présentée à longueur de journée sur les plateaux télé, un écrivain libre condamné par un régime dictatorial. Le cliché-raccourci sonne bien sur un plateau télé, quand celui qui émet la fetwa l’accompagne d’un geste théâtral et d’un regard sombre face à la caméra, mais il est, factuellement, totalement faux. M. Sansal n’a pas été condamné pour ses écrits et ses idées, mais parce que, techniquement, c’est un ancien agent d’influence du pouvoir algérien, passé chez l’ennemi. C’est un Céline, sans talent. Et chez quel ennemi est-il passé ? Le pire, d’un point de vue algérien: Israël et le Maroc. Aucun pays au monde ne pardonne ce type de comportement.
M. Sansal était directeur de l’industrie au ministère de l’industrie. C’était un ponte du régime et de la vie économique du pays. Mais sa célébrité, il la doit à ses romans, qui se vendent librement en Algérie.
Quand le pouvoir s’était trouvé en difficulté face au terrorisme islamiste dans les années 1990, il a mobilisé tous les appuis pour défendre son action, notamment à l’international. Intellectuels, écrivains, artistes, universitaires, appartenant à ce qu’on appelait «les éradicateurs», ont été sollicités, formant ce que l’islamologue François Burgat appelait une «diplomatie parallèle». M. Sansal en a fait partie. Il était devenu un intouchable. Il était tout le temps entre deux voyages, allant de forum en conférence, dans tous les pays du monde. Ce qui l’a mené entre autres au Maroc et en Israël.
Hachemi Djaaboub, ancien ministre de l’industrie, s’est étonné de ce statut de M. Sansal lorsqu’il a pris ses fonctions en 2003. Il a convoqué M. Sansal, qui l’a pris de haut, lui signifiant qu’il obéissait à une autorité plus élevée que celle du ministre. Le vrai pouvoir, quoi! Ce que les algériens désignaient par la formule «les services».
Dans ses péripéties, M. Sansal s’est retrouvé à défendre le Maroc et Israël, et à attaquer l’Algérie. Parcours typique d’un agent qui vient d’être retourné. L’accusation n’avait même pas besoin de chercher les preuves: c’est M. Sansal lui-même qui publiait les vidéos de ses rencontres avec les israéliens.
Bayrou, Retailleau, ultimatum et réponse graduée
Autre raison qui entrave la libération de M. Sansal, l’attitude française. Victimes de leur propre propagande, alimentée par des courants d’extrême-droite, par des réseaux pro-sionistes, et par des analyses approximatives, comme celle de l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt, les français ont mis du temps à prendre la mesure exacte de l’événement. Dans un premier temps, ils avaient pris la chose sur le ton de la condescendance et de la menace. Ils se disaient que c’est une banale affaire d’un régime dictatorial qui réprime un écrivain. Ils menaçaient de rompre des accords bilatéraux et de s’attaquer à la nomenklatura algérienne si M. Sansal n’était pas libéré. Le Premier ministre François Bayrou est allé jusqu’à fixer un ultimatum à l’Algérie pour exiger la libération de M. Sansal. Difficile d’expliquer comment on en arrive à un tel faux pas après une aussi longue carrière. Sans oublier le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et sa fameuse «réponse graduée», qui été méthodiquement démontée par la partie algérienne. Mais à la faveur de M. Retailleau, il faut reconnaître qu’il a joué gagnant, en faisant de l’Algérie et de Boualem Sansal un enjeu de politique interne.
Puis, le discours a changé. On n’exigeait plus la libération de M. Sansal, on souhaitait seulement une issue heureuse. On mettait en avant son âge et sont état de santé (M. Sansal souffre d’un cancer), en on demandait un geste humanitaire de la part du président Tebboune.
Visiblement, la donne avait changé. La partie française s’est rendue compte qu’elle n’était plus en mesure d’imposer ses conditions. Le revirement était si important, que le président Emmanuel Macron allait même jusqu’à faire confiance à l’humanisme de M. Tebboune.
C’est une corde sensible. Mais l’effet reste incertain. Car en termes de geste humanitaire, Macron refuse de faire un geste similaire envers Georges Ibrahim Abdallah, emprisonné depuis 41 ans en France.