Par Abed Charef
Le ministre français de l’Intérieur, Mr Bruno Retailleau, tiendra-t-il parole ? Si c’est le cas, il sera obligé de démissionner sous peu.
En effet, samedi 15 mars, M. Retailleau a indiqué qu’il démissionnerait du gouvernement de François Bayrou si la ligne politique qu’il prône vis-à-vis de l’Algérie ne serait pas respectée. « Si on me demandait de céder sur ce sujet majeur pour la sécurité des français, évidemment que je refuserais », a-t-il déclaré. Il avait annoncé auparavant qu’une liste de soixante algériens sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) serait transmise aux autorités algériennes, et que faute d’une réponse satisfaisante, la France lancerait une « réponse graduée », pour mettre fin, selon lui, à « l’humiliation » que lui imposerait l’Algérie.
Dans la soirée de samedi, M. Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, ancien ambassadeur, a exclu que l’Algérie puisse répondre favorablement aux doléances de M. Retailleau. Au cours d’une conférence-débat organisée à Alger, M. Rahabi a affirmé que l’Algérie ne décide pas sous la pression, même quand elle se trouve en situation difficile. « Lancer un ultimatum à l’Algérie dénote une méconnaissance totale de notre diplomatie », a-t-il dit, ajoutant qu’il s’agit là d’une « pratique étrangère aux usages diplomatiques », utilisée uniquement entre des pays en guerre.
Or, dans le cas présent, l’Algérie dispose de tous les atouts pour préserver son indépendance de décision. La France, de son côté, ne dispose pas de leviers de pression sur l’Algérie, a déclaré M. Rahabi, qui a exposé l’argumentaire algérien dans la crise actuelle.
M. Retailleau a menacé de remettre en cause l’accord de 1968. Ce serait un piège pour la partie française, car si on ôte la brique de 1968, il faudra revenir à la brique en dessous, les accords d’Evian, qui établissent une libre circulation des personnes et des biens entre les deux pays. Les accords d’Evian comme ceux de 1968 avaient été conclus sous De Gaulle. Le premier traité avait été conçu pour permettre une libre circulation des anciens pieds-noirs entre les deux pays. Une fois les français massivement partis à l’indépendance de l’Algérie, la partie française avait demandé une adaptation de ces accords, ce qui avait été négocié sans problème.
L’accord de 1968 permettait et offrait des facilités pour l’obtention de cartes de résidence de dix ans au profit des migrants algériens, et pour le regroupement familial. Ces clauses ont perdu de leur pertinence, a estimé M. Rahabi, ajoutant que, « à titre personnel », il était favorable à l’abrogation de cet accord, qui n’apporte rien d’essentiel à la communauté algérienne, servant juste d’instrument de propagande à la droite et l’extrême-droite française.
Du reste, a-t-il indiqué, l’accord de 1968 définit les clauses qui permettent de les réviser. Il suffit de les actionner. « A ma connaissance, la partie française n’a transmis aucune demande officielle en ce sens ».
M. Rahabi a évoqué deux autres menaces du ministre français de l’intérieur. Pour l’exemption de visas au profit de titulaires de passeports diplomatiques, il a indiqué que l’Algérie a signé des accords similaires avec une soixante de pays dans le monde, dont quinze pays de l’Union européenne. « Abroger cet accord n’aura aucun impact ».
Pour ce qui est de la menace de saisir les biens de ressortissants algériens en France, M. Rahabi a dit : « c’était une revendication du hirak », laissant entendre qu’elle serait applaudie en Algérie. Il a indiqué que l’Algérie a transmis 89 commissions rogatoires concernant des oligarques algériens qui ont été transmis à la partie française. Sans résultat.
Quant aux Algériens soumis à des OQTF, M. Rahabi a jugé l’argumentaire de M. Retailleau « sans aucune consistance ». Il a rappelé que les consuls d’Algérie « ne sont pas des auxiliaires de l’administration française », et qu’ils ont pour mission première « de protéger la communauté algérienne à l’étranger ». Un laisser-passer consulaire n’est délivré que lorsqu’un ressortissant algérien incriminé a épuisé tous les recours que lui permet la législation du pays d’accueil.
Sur 6.000 OQTF concernant des ressortissants algériens en 2024, près de 3.400 avaient été acceptés, a-t-il dit. L’administration française a émis, au total, 164.000 OQTF en 2024, a-t-il indiqué, notant que seuls ceux concernant l’Algérie, autour de 4%, font l’actualité en France.
Tout ceci amène M. Rahabi à une conclusion. Avec un argumentaire aussi faible, il est difficile de parler d’une crise diplomatique, d’autant plus que l’agitation se limite pour le moment à un ministre de l’intérieur, à des partis et des médias, alors que les responsables ayant la charge institutionnelle de la diplomatie française ne sont pas engagés.
Un constat qui semble signifier une fin de parcours pour M. Retailleau au sein du gouvernement français.