Abed Charef
A en croire les dirigeants européens, le ciel de cette partie du monde serait constamment survolé par de méchants drones russes. L’ennemi est devenu si présent que le sommet européen de Copenhague, tenu le 1er octobre, a consacré une large place à cette menace très médiatique.
Comme riposte, il a été question de mettre en place un “système antidrones capable de détecter rapidement, d’intercepter et, bien sûr, si nécessaire, de neutraliser» les drones ennemis, selon la commissaire européenne Ursula Von Der Leyen.
Mais au final, aucune décision n’a été prise. Diverses raisons ont été évoquées pour expliquer cet échec, comme une rivalité sur la question du commandement, des divergences sur le leadership industriel, un désaccord sur les priorités financières du moment, l’urgence de la situation en Ukraine ou l’hostilité de la Hongrie à ce projet d’essence anti-russe.
Toutefois, des analystes indépendants, comme le suisse Jacques Baud, ont pris ces explications avec beaucoup de réserve: ils ne croient tout simplement pas à une menace des drones russes.
Et les drones qui ont survolé l’espace européen? Certains parlent de drones russes récupérés par des européens et réutilisés sous faux drapeau, d’autres évoquent des drones tout simplement ukrainiens. Certains n’hésitent pas à dire qu’il s’agit de fiction pure.
Drones fictifs?
Pourtant, une dizaine de pays européens ont annoncé que leur territoire a été survolé par des drones russes. Le bal a été ouvert par la Lituanie, qui a affirmé que son espace aérien a été survolé à deux reprises par des drones russes, le 10 et le 20 juillet. Puis, entre le 9 et le 10 septembre, la Pologne a accusé la Russie d’avoir envoyé une vingtaine de drones au-dessus de son territoire. Le même jour, la Lettonie faisait état d’un drone russe qui se serait écrasé sur son territoire. Trois jours plus tard, c’est la Roumanie qui faisait à son tour état d’un drone russe sur son territoire, suivie de l’Estonie qui annonçait, le 19 septembre, un incident bien plus grave: son espace aérien a été violé par trois avions russes et un certains nombre de drones. Faut-il abattre les avions russes qui survolent l’espace aérien d’un pays de l’OTAN? La question était lancée, alors que la Russie et l’OTAN ont des protocoles très stricts sur ce type d’incident.
La tension montait d’un cran quand le Danemark, qui devait héberger le sommet de l’Union européenne du 1er octobre, a fait état de drones près d’un aéroport militaire, et décidé dans la foulée d’interdire tout survol de son territoire par des drones, à partir de lundi 29 septembre, pour éviter tout incident à l’occasion du sommet.
Le décor était dès lors planté pour tenir la réunion dans une atmosphère fébrile, faite de menaces, de peur et d’incertitudes.
Les démentis russes, parfois ironiques, étaient rarement repris par la presse européenne. Ils ne cadraient pas avec la volonté des dirigeants européens de créer un climat d’inquiétude, voire de peur, face à un envahisseur russe devenu arrogant, et qui narguait l’Europe jusque chez elle. Comment croire à la propagande russe qui affirme n’avoir jamais eu pour objectif d’envahir l’Europe occidentale alors que ses drones sont déjà là?
Justifier les dépenses militaires
En fait, les européens sont engagés dans un curieux cycle pour se faire peur depuis que le président américain Donald Trump a annoncé qu’il se désengageait du conflit ukrainien. Pour M. Trump, c’est à l’Europe de supporter le poids financier de la guerre, les États-Unis se contentant d’encaisser les royalties en livrant à l’Ukraine des armes qui seront payées par les Européens.
L’Europe ne peut supporter, seule, le poids de la guerre en Ukraine. Elle avait donc besoin d’un des principaux carburants de la guerre, la peur, pour motiver des décisions difficiles. La situation devenait critique car l’Europe officielle avait en face d’elle une opinion lassée par la guerre en Ukraine, outrée par le génocide en Palestine, et subissant les effets d’une économie en difficulté.
Comment les dirigeants européens, très engagés, à deux exceptions près, dans un bellicisme anti-russe remarqué, pouvaient-il faire pour alimenter la machine guerrière.
Créer un sentiment de peur. C’est un classique, qui marche toujours.