Ahmed ABDELKRIM
Entre la France et l’Algérie, les crises se suivent, se ressemblent parfois, mais ne parviennent jamais à briser totalement le lien. Ce dimanche 19 octobre, le nouveau ministre français de l’Intérieur, Laurent Nuñez, a pris la parole avec une intention claire : ramener les relations entre Paris et Alger à un niveau de fonctionnement normal, loin des crispations diplomatiques et des suspicions réciproques.
« Il faudra qu’on reprenne le dialogue avec les Algériens sur les questions de sécurité, d’échanges d’informations. Je vais m’y atteler », a-t-il déclaré, dans un ton calme mais résolu.
Le réalisme plutôt que les postures
Voilà plus d’un an que les canaux diplomatiques sont grippés. Depuis l’été 2024, la reconnaissance par la France du plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental a refroidi les rapports avec Alger. Résultat : coopération sécuritaire à l’arrêt, flux migratoires mal gérés, et climat politique tendu.
Laurent Nuñez n’a pas cherché à masquer la difficulté :
« On n’a plus de relation sécuritaire avec eux. Pour un ministre de l’Intérieur, c’est un gros problème. »
Un aveu rare dans le langage diplomatique français, qui traduit une prise de conscience pragmatique : le statu quo n’est plus tenable.
La normalisation, pas la réconciliation
Ce que cherche le nouveau ministre, ce n’est pas la « réconciliation » trop souvent invoquée, rarement concrète mais le retour à la normalité.
Une normalité faite de dialogue, d’échanges d’informations, de coopération sur les dossiers sensibles.
Sur le plan sécuritaire, les deux pays partagent une même préoccupation : la lutte contre les réseaux terroristes et migratoires qui traversent le Maghreb et la Méditerranée. Sur le plan humain, des millions d’Algériens vivent en France, et des millions d’autres entretiennent un lien affectif, culturel ou économique avec l’Hexagone.
Autant dire que la « normalisation » n’est pas un luxe, mais une nécessité fonctionnelle.
Sortir des cycles de tension
Depuis des décennies, la relation franco-algérienne fonctionne par cycles : rapprochement, crispation, silence, puis relance.
Chaque changement de gouvernement à Paris ou à Alger semble rouvrir les plaies du passé.
Mais dans les faits, les intérêts communs: sécurité, énergie, mobilité — continuent d’imposer une forme d’interdépendance assumée.
En évoquant sa volonté de relancer les discussions, Laurent Nuñez s’inscrit dans une approche dépolitisée, recentrée sur le travail technique et la confiance opérationnelle.
La diplomatie du quotidien, celle qui ne fait pas la une, mais qui permet de garder le contact même quand le ton monte.
L’accord de 1968, symbole d’une relation singulière
Interrogé sur un rapport parlementaire prônant la remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968, le ministre a préféré temporiser :
« Il fonctionne. Il n’est pas parfait, mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour. »
Signé à une époque où la France avait besoin de main-d’œuvre algérienne, cet accord est devenu un pilier ,parfois contesté, souvent incompris ,de la relation bilatérale.
Le maintenir, pour Laurent Nuñez, c’est reconnaître que la stabilité administrative est un préalable à toute normalisation politique.
Le choix du pragmatisme
Entre Paris et Alger, la normalisation passera moins par les grands symboles que par le rétablissement patient des routines diplomatiques et sécuritaires : réunions bilatérales, coordination policière, réouverture des canaux de dialogue.
Autant de gestes modestes, mais essentiels, pour sortir de l’ère des malentendus permanents.
Le ministre semble avoir compris que l’avenir de la relation ne se jouera ni dans la nostalgie ni dans la confrontation, mais dans une coopération décomplexée, débarrassée des réflexes de supériorité ou de susceptibilité.
Une normalité à reconstruire
La « normalisation » évoquée par Laurent Nuñez n’a rien de spectaculaire. Elle se veut discrète, méthodique, durable.
Elle suppose que les deux pays acceptent de travailler ensemble sans s’aimer forcément, mais en se respectant.
Car entre la France et l’Algérie, il ne s’agit plus de tourner la page, mais simplement de remettre le livre à plat, d’en relire les chapitres avec lucidité, et de continuer à écrire, ensemble, les pages suivantes, sans passion inutile mais avec un sens du réel.
Et peut-être que, dans ce réalisme retrouvé, se cache enfin la clé d’une relation apaisée, adulte et durable.