Abed Charef
Espoir pour l’Ukraine ou nouveau sujet de controverse, pendant que le pays continue à saigner ? Le plan de paix en 28 points, attribué à Donald Trump, est en difficulté avant même que les deux belligérants ne l’aient formellement approuvé ou rejeté. Rendu public par des canaux non officiels, ballotté entre un émissaire, Steve Witkoff, très actif mais sans pouvoir de décision, un président versatile et une partie ukrainienne qui a perdu le contrôle sur le terrain et sur la décision politique, ce plan a pourtant le mérite de constituer une plate-forme de discussions concrète. Équilibré ou non, il trace une ligne de partage que la première puissance militaire au monde considère aujourd’hui, à tort ou à raison, comme acceptable.
Même s’il semble plutôt pencher du point de vue russe, le texte tranche, en tous les cas, avec les élucubrations des dirigeants européens qui veulent une victoire totale contre la Russie, y compris si cela doit mener à une poursuite de la guerre jusqu’au dernier ukrainien.
Comme de coutume, il a fait l’objet d’attaques en règle de la part des va-t-en guerre, qui ont tenté de le discréditer, remettant en cause le fait même qu’il s’agirait d’un plan américain. Pour eux, il s’agirait d’un plan russe, à peine retouché par la partie américaine. Les pays européens l’ont même rejeté, affirmant qu’il s’agissait d’une simple ébauche, et le texte a été légèrement remanié au cours d’une ultime réunion tenue dimanche à Genève entre américains, européens et ukrainiens.
Et comme de tradition, le président ukrainien Volodymyr Zelinski a adopté un ton martial pour s’adresser à ses concitoyens, pour leur dire qu’on les met face à des choix douloureux, « perdre sa dignité » ou perdre un allié clé.
Pas d’innovation majeure
Le plan a été détaillé par de nombreux sites, comme menadefense, spécialisé en questions de défense. D’autres sites l’ont décrypté point par point, relevant les points qui font consensus, ceux qui vont constituer un blocage, et d’autres pouvant faire l’objet d’arrangements après négociations.
Dans ses grandes lignes, le plan Trump n’est pas très éloigné de celui de mars 2022, que les ukrainiens étaient sur le point de parapher quand l’ex-premier ministre britannique Boris Johnson avait débarqué à Kiev pour dire aux dirigeants ukrainiens de le rejeter, en leur garantissant un soutien militaire jusqu’à obtenir une victoire décisive.
Le plan prévoit que l’Ukraine deviendra un pays neutre, selon une formule qui reste à trouver, proche de celle de l’Autriche ou de la Finlande; elle pourra rejoindre l’Union européenne mais pas l’OTAN; elle bénéficiera de garanties de sécurité concrètes, et d’un plan de reconstruction qui utilisera éventuellement les fonds russes gelés. En contre-partie, elle cédera des territoires, certains déjà définis, d’autres à négocier; elle respectera les minorités linguistiques, et organisera des élections dans un délai de cent jours.
Sur un plan strictement militaire, le plan Trump consacre une situation de fait. Il met la pression sur l’Ukraine car celle-ci perd du terrain de manière inexorable. Plus le temps passe, plus la situation de l’Ukraine deviendra intenable, et elle sera d’autant moins en mesure de rétablir la situation qu’elle est privée du soutien des États-Unis. Ce que les Européens considèrent comme du chantage, aggravé par un autre facteur: le pouvoir autour de Zelensky est profondément corrompu, et les Américains, principaux pourvoyeurs d’aide jusque-là, détiennent l’information nécessaire pour faire pression sur le président ukrainien.
Zelensky a perdu le contrôle
Mais le véritable enjeu aujourd’hui se situe ailleurs. Le sort de l’Ukraine se joue autour de quatre points.
D’abord, Kiev a perdu toute autonomie de décision. L’Ukraine est incapable de faire la guerre à elle seule. En fait, elle mène une guerre par procuration. Sans l’aide massive de l’Europe et des États-Unis, elle capitulerait immédiatement. La question pour les ukrainiens est savoir combien de temps, et surtout à quel prix, ils vont tenir, à partir du moment où les États-Unis ne fourniront que ce qui sera payé par les européens.
Plus compliqué, le sort de Zelensky se joue avec cet accord. Si le président ukrainien accepte l’accord, il sera comptable des pertes humaines et matérielles subies depuis mars 2022, lorsqu’un plan similaire a été élaboré et qu’il l’a rejeté à la dernière minute. Pourquoi autant de morts pour revenir au point de départ?
S’il refuse le plan, il sera accusé de faire de la surenchère pour sauver sa peau et son pouvoir, l’Ukraine étant exsangue, et risquant de perdre davantage face à l’avancée inexorable de l’armée russe.
Objectivement, Zelensky ne peut compter que sur la capacité de l’Europe à parasiter le plan Trump, à torpiller les futures négociations, et à relancer la surenchère. Cela permettra au président ukrainien de ne pas s’aliéner directement Donald Trump en s’opposant à lui frontalement, de se montrer homme de paix ou homme de guerre sans vraiment peser sur les choix décisifs, et de ne pas être impliqué dans la décision finale, bonne ou mauvaise.
Paradoxalement, face à ces incertitudes, la Russie affiche une démarche froide, cohérente, implacable. Pour Moscou, les quatre anciennes provinces ukrainiennes russophones sont russes et le resteront, la Crimée est oubliée, et l’Ukraine ne devra ni faire partie de l’OTAN ni constituer une menace potentielle pour la Russie. C’est la base d’un accord potentiel, ce que reconnaît largement le plan Trump.
Échaudés par les expériences du passé, les Russes ajouteront d’autres conditions: des garanties fermes, irrévocables et vérifiables. Et sur ce point, ils ont raison: ils ont été bernés une première fois avec les accords de Minsk, les garants de l’accord, Angela Merkel et François Hollande ayant stupidement déclaré tous les deux que les accords de Minsk avaient juste pour objectif de permettre à l’Ukraine de se réarmer face à la Russie. Comment après cela espérer que les russes feraient confiance à un dirigeant occidental, quel qu’il soit?

