Abed Charef
Pauvre Boukrouh!
L’ancien ministre de Bouteflika, l’intellectuel qui tançait les puissants de ce pays et s’en prenait aux intellectuels assoupis, s’est laissé prendre comme un stagiaire. Pris dans le tourbillon d’un vent contraire, il a succombé à une propagande primaire à propos du Sahara Occidental, faisant preuve d’un défaitisme qui fera date.
Pour celui qui se voulait à la fois héritier de Malek Bennabi et leader d’une nouvelle pensée politique modernisée, la question du Sahara Occidental en serait à son «dernier quart d’heure»! Rien que ça! Selon lui, le Front Polisario a tout raté, l’Algérie n’a pas su faire, les États-Unis vont imposer une solution favorable au Maroc, et la boucle est bouclée.
Difficile de comprendre comment un ancien chef de parti, un ancien ministre, un homme qui a tant écrit, a pu se laisser entraîner dans un tel épisode de défaitisme, au moment même où il peut voir, à travers l’exemple de la Palestine, que le mot Résistance est éternel.
M. Noureddine Boukrouh s’est laissé prendre à ce qui constitue un cas d’école en matière de propagande (pardon, dans le monde moderne, on dit communication). C’est donc un nouveau cas d’école où la communication est supposée créer une nouvelle réalité politique, en convaincre l’opinion, pour finalement changer la donne et imposer un fait accompli totalement déconnecté du réel, grâce à un tour de passe-passe: convaincre l’autre, l’adversaire, l’ennemi, qu’il est défait avant même d’engager la bataille.
Le précédent palestino-saoudien
Le Moyen-Orient a vécu, avant le 7 octobre, une campagne similaire. Donald Trump, qui avait lancé les accords d’Abraham durant son premier mandat, a voulu imposer l’idée selon laquelle la «normalisation» entre les pays arabes et Israël allait avancer de manière irrémédiable, que le prochain pays à y adhérer serait l’Arabie Saoudite, que cela constituerait un moment psychologique déterminant qui ferait basculer le cours des choses, que des négociations secrètes étaient engagées avec Ryadh, et que c’était une simple question de temps.
Pourtant, aussi critiquée soit-elle, l’Arabie Saoudite maintenait publiquement et officiellement une position très claire: elle n’adhérerait à aucun processus s’il ne devait pas mener à un État palestinien. Personne ne faisait semblant d’écouter le discours saoudien, ni de voir la détermination palestinienne. Jusqu’au 7 octobre.
Retour au réel
La réalité s’est alors brusquement imposée. Le réel a pris le pas sur la fiction, rappelant qu’une campagne de communication ne fait pas une politique. Elle ne change pas le réel, même si elle peut contribuer à en fausser la perception. Le coup de com laissera peut-être des traces, mais il ne sera pas décisif.
Du reste, il fat rappeler que M. Trump, battu aux présidentielles de novembre 2020, avait décidé de faire cadeau du Sahara Occidental au Maroc en décembre 2020, alors qu’il était en fin de mandat et hors course. C’était une récompense pour Rabat qui venait de normaliser avec Israël, une transaction à la Trump. Sa décision n’avait cependant pas eu d’effet significatif.
Aujourd’hui, les États-Unis peuvent considérer le plan d’autonomie marocain au Sahara Occidental « sérieux, crédible et réaliste». Ils peuvent avoir le soutien de leurs alliés occidentaux, France et Grande-Bretagne notamment. Il peuvent exercer les pressions sur d’autres pays pour valider ce plan.
Cela ne changera pas la nature du conflit du Sahara Occidental, qui est d’abord d’essence coloniale. Le vote du conseil de sécurité prévu pour le 30 octobre, pour renouveler le mandat de la MINURSO et éventuellement proposer une nouvelle piste pour aller à une solution du conflit ne changera pas la donne, et ce n’est pas à travers cette démarche que les États-Unis vont remodeler la carte de la région à leur guise.
Pour une raison bien simple: il y’a, en face, un peuple qui aspire à exercer son droit à l’autodétermination. Et ce peuple est soutenu par d’autres peuples, épris de liberté.
Difficile pour M. Boukrouh de comprendre cette donne, si on ne voit que du ghachi là où se profile la grandeur des peuples.

