Ahmed Abdelkrim
Par-delà le fait divers, l’arrestation du délinquant connu sous le nom de “El Wahrani” par des citoyens de Chlef révèle un tournant : celui d’une société qui, lassée de la violence, choisit d’agir. Entre peur, ras-le-bol et sens civique, ce sursaut collectif interroge la place du citoyen dans la lutte contre la criminalité en Algérie.
Un choc national, puis un sursaut collectif
Tout est parti d’une vidéo, filmée à la va-vite, mais d’une violence insoutenable.
On y voit un jeune homme roué de coups, humilié, torturé par un groupe d’individus. Parmi eux, un visage que beaucoup reconnaissent : Hicham Attia, alias El Wahrani, figure tristement célèbre des réseaux sociaux, symbole d’une délinquance devenue presque banale, parfois glorifiée.
La vidéo fait le tour du pays.
L’indignation est immédiate, les commentaires fusent, les appels à la justice se multiplient.
Mais au-delà de la colère virtuelle, une réaction réelle s’organise.
Quelques jours plus tard, dans la commune de El Attaf, wilaya de Chlef, El Wahrani est repéré par des habitants.
Ils le suivent discrètement, préviennent les forces de sécurité, puis l’interpellent avant de le remettre à la Gendarmerie nationale.
Un geste fort, salué par les autorités comme un « exemple de sens civique et de solidarité communautaire ».
Mais surtout, un signal : la société civile n’est plus spectatrice.
Quand la peur change de camp
Dans une Algérie où la défiance envers les institutions reste parfois palpable, l’affaire El Wahrani marque une rupture.
Ce n’est pas l’État seul qui a agi, mais le citoyen ordinaire, fatigué de subir.
Fatigué de voir des individus s’ériger en seigneurs de quartiers, de constater que la peur gouverne les ruelles plus que la loi.
Ce geste collectif traduit une volonté nouvelle : reconquérir l’espace public, réaffirmer le vivre-ensemble face à la montée des comportements antisociaux.
Ici, les citoyens ont choisi la coopération plutôt que la défiance, l’action plutôt que l’indifférence.
Et c’est sans doute là le message le plus fort : la sécurité, dans une société moderne, ne peut être un monopole d’État.
Elle repose sur un contrat social partagé entre institutions et population.
Un miroir de la société algérienne
L’affaire El Wahrani révèle bien plus qu’un acte criminel.
D’un côté, la violence gratuite, la mise en scène de la brutalité sur les réseaux sociaux, comme si le crime était devenu un spectacle.
De l’autre, la réaction citoyenne, spontanée, ancrée dans une morale collective : la défense du bien commun.
Sociologiquement, cet épisode témoigne d’une mutation du rapport au collectif.
Les citoyens ne se contentent plus d’être protégés : ils veulent participer à la protection.
Ils ne se reconnaissent plus uniquement dans l’autorité publique, mais dans l’action communautaire.
Ce glissement est à la fois une opportunité et un signal d’alerte : lorsque la société agit ainsi, c’est parfois parce qu’elle estime que les institutions ont besoin du support de la population.
L’équation de la sécurité partagée
La Gendarmerie et la Police nationale ont salué la collaboration des habitants, rappelant que « les citoyens sont les premiers partenaires de la sécurité publique ».
Un discours juste et réaliste. Sur le terrain, les forces de sécurité manquent parfois de relais locaux ce qui encourage la prolifération des gangs de rues.
La criminalité moderne :délinquance urbaine, gangs de quartier, trafic ,ne se combat plus uniquement par la répression.
Elle se combat par la proximité, la prévention et la coopération.
C’est tout le sens de cette affaire : elle montre que l’État et la société ne sont pas des entités opposées, mais des forces complémentaires.
Quand la population devient vigilante, quand elle alerte sans peur, quand elle coopère avec professionnalisme, la chaîne de sécurité devient plus solide, plus humaine, plus efficace.
Mais cette vigilance citoyenne doit être encadrée, valorisée et protégée, pour éviter les dérives, les règlements de compte ou la justice parallèle.
C’est un équilibre fragile ,mais nécessaire ,entre participation civique et autorité publique.
Une leçon de civisme et d’espérance
À Chlef, des citoyens ordinaires ont fait reculer la peur.
Leur geste est à la fois simple et immense : ils ont rappelé que la sécurité n’est pas un privilège, mais un devoir partagé.
Leur action ne remplace pas l’État, elle le renforce.
Dans une époque où les faits divers alimentent souvent le désespoir, cette affaire redonne foi en la capacité des Algériens à agir collectivement pour le bien commun.
Elle montre que derrière la colère et la lassitude, une conscience civique renaît , lucide, courageuse, et profondément algérienne.
La société ne sera jamais exempte de violence.
Mais tant qu’il y aura des citoyens capables de dire non, capables de s’unir face à la peur, capables de faire confiance aux institutions ,alors, il y aura encore des raisons d’espérer.