Par Ahmed Abdelkrim
La France broie du noir. La dette publique a franchi les 3 400 milliards d’euros, atteignant exactement 3 345,4 milliards fin mars 2025, soit 113,9 % du PIB selon l’Insee. Un chiffre vertigineux, qui n’est pas seulement une statistique : il est devenu un fardeau quotidien, un spectre qui plane au-dessus de chaque décision politique, une ombre qui réduit la souveraineté du pays à peau de chagrin. Rien que sur le premier trimestre 2025, la dette a encore gonflé de 40,2 milliards. Les seuls intérêts annuels dépassent désormais les budgets combinés de la justice et de la défense. La République vit à crédit — et l’addition s’alourdit.
Face à ce gouffre, François Bayrou, Premier ministre par défaut plus que par choix, a présenté début juillet un plan d’économies de 43,8 milliards d’euros. Objectif : ramener le déficit à 4,6 % du PIB en 2026, puis à 2,8 % quelques années plus tard.
Sur le papier, les chiffres s’alignent peut-être. Dans la rue, c’est une tout autre musique : la suppression de deux jours fériés, le gel des prestations sociales et la réforme de l’assurance chômage apparaissent moins comme des solutions que comme des provocations. La France des ronds-points et des fins de mois y lit un mépris glacé.
C’est dans cette atmosphère qu’est né l’appel « Bloquons tout », qui appelle à paralyser le pays le 10 septembre. Pas une agitation isolée, mais le reflet d’une exaspération profonde. Les syndicats hésitent, redoutant de servir de fusible, mais la base gronde. Jean-Luc Mélenchon parle de grève générale, Raphaël Glucksmann met en garde contre « un pays déjà bloqué », tandis que Marine Le Pen promet d’« enterrer le budget Bayrou ».
Le 8 septembre, le Premier ministre jouera sa survie sur un vote de confiance qu’il sait presque perdu d’avance. Ce n’est plus de la stratégie : c’est un adieu annoncé.
Dans ce climat électrique, Emmanuel Macron tente une manœuvre de diversion diplomatique. Il convoque d’abord l’ambassadrice d’Italie, après les provocations de Matteo Salvini. Mais le geste sonne creux, comme une gesticulation destinée à occuper la scène médiatique. Quelques heures plus tard, il franchit un cap en convoquant l’ambassadeur des États-Unis, Charles Kushner. Or celui-ci ne se déplace même pas : c’est un simple chargé d’affaires qui se présente au Quai d’Orsay. Un affront rare, une humiliation assumée par Washington, qui révèle la perte de poids de Paris sur l’échiquier international. Macron se rêve en stratège, mais il n’apparaît que comme un chef d’État isolé, crispé, cherchant dans la fermeté extérieure le masque de son impuissance intérieure. Pendant ce temps, les marchés financiers observent et sanctionnent. Le CAC 40 vacille, les taux obligataires français grimpent au-dessus des 3,5 %, signal clair d’une confiance qui se délite. Chaque dixième de point sur la dette représente des milliards supplémentaires d’intérêts à payer. La France avance à reculons vers un mur budgétaire.
Le danger n’est pas seulement économique. Il est social, politique, démocratique. Le 10 septembre pourrait devenir une date charnière, celle d’une fracture irrémédiable entre un pouvoir aux abois et un pays qui n’y croit plus. La France a déjà connu des crises sociales majeures, des grèves par millions, des blocages d’ampleur. Mais cette fois, tout se cumule : la dette qui étrangle, l’inflation qui rogne, les inégalités qui explosent, la violence urbaine qui persiste, et un président qui donne le sentiment de fuir en avant.
Macron voulait incarner la stabilité européenne. Il risque d’incarner désormais le désordre français. À force de multiplier les mauvaises décisions et les postures martiales, il creuse encore davantage le fossé entre le réel et la mise en scène. La France, elle, n’attend plus ses signaux. Elle gronde, elle bloque, et le 10 septembre, elle pourrait bien lui présenter l’addition.