Ahmed Abdelkrim
Depuis quelques années, un phénomène intrigant se répète dans les colonnes de certains médias français et dans les discours de quelques responsables politiques : mettre en avant la Kabylie comme une entité à part, comme si elle devait être dissociée de l’Algérie. Cette rhétorique, souvent relayée par des journaux au passé colonial assumé comme Le Point ou par des relais médiatiques proches de la droite nostalgique de « l’Algérie française », n’a rien d’anodin. Elle s’inscrit dans une longue tradition de stratégies de division, héritées des méthodes coloniales, que l’on pourrait qualifier de machiavéliennes.
La technique de la division : un vieux manuel colonial
Sur le plan scientifique, la stratégie est connue : il s’agit d’appliquer le principe du « diviser pour mieux régner ». En anthropologie politique, cela revient à accentuer artificiellement les différences culturelles, linguistiques ou régionales pour affaiblir l’unité nationale. L’Algérie, riche de sa mosaïque de peuples – Arabes, Kabyles, Chaouis, Mozabites, Touaregs, Chenouis, Ouled Naïl, Harratines – a toujours été une terre de diversité. Mais l’aspiration fondamentale du peuple algérien, depuis la lutte anticoloniale, a été celle de l’unité autour d’une même bannière, d’un même drapeau, d’un même sacrifice.
C’est précisément ce ciment que certains cercles en France tentent de fissurer, en cherchant à imposer à la Kabylie une identité artificiellement séparée. Pour ce faire, ils instrumentalisent un courant ultra-minoritaire comme le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie), une organisation terroriste sans aucune légitimité, sans poids ni écho réel en Algérie ou ailleurs. On essaie de l’amplifier artificiellement, tel un ballon de baudruche prêt à éclater violemment au visage de ses propres instigateurs.
Les héros kabyles de l’indépendance : le démenti de l’histoire
Cette tentative se heurte de plein fouet à la mémoire historique. Car la Kabylie a été l’un des berceaux de la lutte armée contre la colonisation française. Comment oublier le colonel Amirouche Aït Hamouda, figure emblématique de la Wilaya III historique, tombé au champ d’honneur en 1959? Comment ignorer Abane Ramdane, stratège politique de la Révolution, artisan du Congrès de la Soummam, qui posa les bases d’une Algérie moderne et unifiée? Comment passer sous silence le colonel Mohand Oulhadj, successeur d’Amirouche, ou encore Si El Houas, officier kabyle tombé pour la liberté d’une Algérie indivisible ?
Ces hommes étaient kabyles, oui, mais avant tout ils étaient Algériens. Leur combat n’était pas celui d’une région contre une autre, mais celui d’un peuple uni contre la colonisation. Leur sang s’est mêlé à celui des Chaouis des Aurès, des Mozabites du M’zab, des Touaregs du Sud, des Arabes de l’Ouest et de l’Est. Ils savaient que seule l’unité ferait la force.
Quand la France oublie ses propres fractures
Le paradoxe est cruel : ceux qui, en France, théorisent la « Kabylie indépendante » ne disent jamais un mot des revendications des Bretons, des Corses, des Basques ou des Alsaciens, qui réclament eux aussi une reconnaissance identitaire, parfois même une indépendance. On ne leur accorde ni drapeau officiel, ni hymne national, ni place dans le débat public, tant la République française se veut indivisible.
Pourquoi donc ce « deux poids, deux mesures » ? Pourquoi ce mutisme sur les Berbères du Rif au Maroc, qui, eux aussi, revendiquent des droits politiques et culturels ? Pourquoi cette obsession uniquement dirigée vers l’Algérie ? La réponse est simple : il s’agit moins de défendre un principe universel que de chercher à fragiliser un pays qui, malgré ses difficultés, reste debout, uni et jaloux de son indépendance.
La maturité du peuple algérien
Les tentatives de division trouvent cependant peu d’écho dans la société algérienne. Certes, les Algériens débattent, critiquent et n’ont pas toujours les mêmes visions politiques. Mais lorsqu’il s’agit de leur unité nationale, la ligne rouge est claire. Le peuple a appris de son histoire, et il sait reconnaître les manipulations. Les voix extrémistes, qu’elles soient financées de l’extérieur ou relayées par quelques médias en quête de sensationnalisme, restent marginales.
Des journaux de pacotille au service d’une nostalgie coloniale
La récurrence d’articles dans des journaux comme Le Point, où l’on trouve une rhétorique nostalgique de l’Algérie française, n’est pas une coïncidence. Ces publications cherchent moins à informer qu’à entretenir un imaginaire colonial, celui d’une Algérie instable, incapable d’exister sans tutelle étrangère. La Kabylie devient alors un prétexte, une fissure espérée pour faire revivre, sous une forme modernisée, les vieilles logiques d’ingérence.
L’Algérie indivisible
L’avenir, lui, s’écrit dans l’énergie de la jeunesse. Une génération connectée, éduquée et consciente de son héritage refuse de se laisser enfermer dans des querelles identitaires artificielles. Elle aspire avant tout à des perspectives d’emploi, de savoir et de progrès.. La France peut bien tenter de souffler sur les braises de la division ; elle ne pourra effacer ni Amirouche, ni Abane, ni les milliers d’anonymes qui sont tombés en criant « Tahya El Djazaïr ».
Ce que cette stratégie révèle surtout, c’est une difficulté persistante de la France officielle à se défaire de son héritage colonial. En parlant de la Kabylie, ce n’est pas tant l’avenir des Kabyles qui est en jeu que le rapport inachevé de la France à son passé en Algérie.