Abed Charef
Non, ne n’est pas de la fiction. Le maire élu de New-York, ville où l’influence de l’AIPAC, le plus puissant lobby juif du monde, est pesante, promet de faire arrêter Benyamin Netanyahou si le premier ministre israélien foule le sol de la ville!
Zohran Mamdani, un jeune homme qui a cassé tous les codes, marié à une artiste en vogue, musulman sans complexe, défendant les pauvres et les minorités, à réussi à mobiliser autour de sa candidature suffisamment de monde pour prendre cette ville dont le PIB représente cinq fois celui de l’Algérie.
Cette intrusion d’un musulman d’origine indienne, né en Ouganda, dans un poste qui fait partie de l’establishment américain, a créé un séisme aux États-Unis.
Il suffit de rappeler le nom de deux de ses prédécesseurs récents pour mesurer l’importance de la fonction. L’un était Rudy Giuliani, maire au moment des attentats du 11 septembre, devenu ami du président George Bush et futur avocat de Donal Trump, l’autre est Michael Bloomberg, propriétaire de la puissante agence Bloomberg.
Face aux barons de l’establihment new-yorkais, Zohran Mamdani a fait campagne auprès des jeunes, des pauvres, des déclassés, en affichant ouvertement son soutien aux Palestiniens. Non par communautarisme, mais par souci de justice. Et par nécessité de faire respecter les droits d’un peuple écrasé par la toute puissance des occidentaux.
Un mouvement de fond
L’irruption de Zohran Mamdani traduit en fait le mouvement de fond qui secoue les sociétés occidentales, tétanisées depuis des décennies face à Israël, et qui découvrent aujourd’hui l’ampleur du crime qu’elles ont accompli pour réparer un crime antérieur.
Ce qui s’est passé à Ghaza a changé le monde. Les nouvelles générations, notamment dans les universités, ont décidé de regarder par elles-mêmes ce qui se passe dans le monde, ne se fiant plus aux médias traditionnels. Les réseaux sociaux ont offert cette possibilité de suivre ce qui se passe sans passer par le filtre des médias dominants.
Le résultat a été impressionnant. La plupart des villes européennes ont vécu des manifestations pro-palestiniennes inimaginables il y’a deux ans. L’opinion publique a basculé. Même les establishments des pays européens ont été secoués par l’ampleur du changement, ce qui les contraint à évoluer, à tenter de s’adapter pour ne pas être dépassés, à faire un geste, comme reconnaître l’État palestinien.
Nouveau modèle
Mais ce qui secoue le plus les centres de pouvoir et les think-tanks occidentaux, c’est l’implication de ce changement sur le long terme. A de multiples niveaux.
Aux États-Unis, le Parti Démocrate va-t-il basculer à gauche, vers une ligne franchement progressiste, alors que l’idée dominante jusque-là était de favoriser une politique centriste pour gagner les élections? Les pauvres, les déclassés, vont-ils enfin s’intéresser à la politique, devenir des électeurs réguliers, comme ils l’ont fait en se mobilisant pour élire le nouveau maire, ce qui risque de changer le modèle politique américain?
Le nouveau maire annonce-t-il l’émergence d’un nouveau modèle politique, capable de dépasser le communautarisme traditionnel pour s’adresser à des franges plus larges? Car la réussite de Zohran Mamdani est liée aussi à une autre approche: il a explosé les anciens clichés. Lui-même est certes d’origine musulmane, mais il a fait campagne hors communautés religieuses, réussissant à rallier toutes les minorités. Il a dépassé les frontières psychologiques et les clichés, obtenant le vote des LGBT et d’un tiers de la communauté juive de New-York. Ce tour de force est le reflet de sa propre personnalité, forgée par un héritage prestigieux : le père est un intellectuel renommé, auteur de recherches remarquables sur le post-colonial, né en Inde, ayant vécu en Ouganda et en Afrique du Sud avant de s’installer aux États-Unis; la mère, également née en Inde, est une écrivaine et une poétesse ayant vécu au Soudan et en Angleterre.
Ceci dit, la partie ne fait que commencer pour Zohran Mamdani. Comment vont réagir les puissants lobbies et les réseaux d’argent et de pouvoir? Comment vont-ils contre-attaquer face à ce qui ressemble à une menace? Quelles ressources l’AIPAC et les grandes fortunes vont mobiliser pour reprendre en main la situation?
Les premières réactions ont été plutôt primaires: accusations de communautarisme, d’antisémitisme, de vouloir faire la guerre aux juifs.
Cet argumentaire ne marche plus. Il est d’autant plus inopérant que même la droite européenne a été traitée d’antisémitisme pour ses premières critiques contre Israël. Il faudra donc attendre la nouvelle salve, pour connaître le nouvel argumentaire et les nouveaux éléments de langage qui vont foisonner. Mais quels qu’ils soient, il ne pourront changer le réel: quelque chose a basculé. Et cette fois-ci, en faveur des palestiniens.