Ahmed Abdelkrim
Il arrive, en diplomatie, que les crises les plus bruyantes se résolvent dans le silence. La récente séquence franco-algérienne en est l’illustration parfaite : d’un côté, un gouvernement français multipliant sorties médiatiques, signaux contradictoires et pressions maladroites ; de l’autre, un Président algérien qui a refusé le terrain de l’agitation pour privilégier celui de la mesure.
Un incident qui cristallise un malaise profond
L’affaire Boualem Sansal aurait pu n’être qu’un micro-événement littéraire. Elle est devenue un marqueur politique parce qu’elle s’est inscrite dans un contexte où Paris semblait vouloir tester les limites de la relation bilatérale. L’ « écrivain » promu au rang de symbole commode n’a été que l’étincelle qui a révélé un malaise beaucoup plus ancien : celui d’une France qui peine à accepter que l’Algérie a changé.
Tebboune a refusé la surenchère
Dans cette période de tension, Abdelmadjid Tebboune aurait pu réagir par des discours fermes, des déclarations flamboyantes ou des ruptures spectaculaires. Il ne l’a pas fait.
Il a choisi autre chose : le temps long, la discrétion et la fermeté tranquille.
Alors que Paris fait semblant de hausser le ton, Alger ne répond pas à la provocation. Les gestes sont maîtrisés : ralentissement de certains dossiers économiques, suspension de coopérations ciblées, et surtout silence.
Un silence qui n’est pas une absence, mais un message : la souveraineté ne se discute pas sur les plateaux télé.
Une crise que la France a mal lue
Il a fallu des semaines pour que Paris comprenne que ses méthodes n’avaient plus prise. Que la mécanique consistant à brandir la morale, à médiatiser des cas individuels ou à tenter des pressions indirectes ne fonctionne plus avec un pays qui revendique aujourd’hui une autonomie stratégique réelle.
L’Algérie d’aujourd’hui n’est pas celle des années 2000 : elle s’appuie sur des alliances multiples, une stabilité institutionnelle retrouvée, un rôle régional renforcé et une économie mieux structurée.
Tebboune a simplement agi comme le président d’un État qui sait sa valeur.
Quand Berlin intervient, Paris comprend
Le moment décisif est venu d’Allemagne. Le président fédéral allemand a contacté Alger avec ce que la diplomatie française semble avoir oublié : le respect, la sobriété, l’écoute. Un échange direct, posé, sans caméras ni déclarations. Le type d’interaction qui apaise plutôt qu’elle n’envenime.
À partir de là, un terrain d’entente était possible.
Alger l’a accepté , non par faiblesse ,mais parce que la démarche respectait sa dignité.
Encore une fois, Tebboune a privilégié l’ouverture dès lors que les conditions étaient saines.
La stratégie du calme : un choix politique
On peut, bien sûr, discuter les orientations économiques ou sociales du gouvernement. Mais sur cette crise précise, il faut reconnaître un fait :
l’Algérie a évité l’escalade grâce à une présidence qui a choisi la lucidité plutôt que le réflexe. Dans une époque où tout se règle par déclarations impulsives, tweets rageurs et coups d’éclat, Alger a rappelé que le poids d’un pays se mesure aussi à sa capacité à ne pas hurler plus fort que les autres. Ce n’est pas du romantisme diplomatique ; c’est une stratégie. Et elle a porté ses fruits.
Une leçon adressée, en creux, à Paris
La crise n’est pas close, et les désaccords demeurent. Mais quelque chose a basculé : Paris a découvert, peut-être avec retard, qu’Alger n’entend plus subir les réflexes d’une relation asymétrique héritée d’une autre époque.
L’Algérie ne demande ni privilèges, ni passe-droits.
Seulement une chose : être traitée comme un partenaire à part entière.
Et dans cette séquence, Tebboune aura surtout montré qu’une diplomatie digne repose parfois sur un principe simple :
ne jamais répondre à l’agitation par l’agitation.

