Abed Charef
L’affaire Sansal a fait des dégâts. En Algérie, en France, et dans les relations entre les deux pays. Elle a alimenté polémiques et propagande durant toute une année, depuis l’arrestation de Boualem Sansal en novembre 2024 jusqu’à sa libération, le 12 novembre 2025.
Alors que les regards sont braqués sur le dénouement, officiellement une amnistie accordée à l’écrivain à la demande du président allemand, Frank-Walter Steinmeier, le fond de l’affaire révèle des vérités pas toujours agréables.
Et, en premier lieu, le fait que l’affaire Sansal est d’abord un échec algérien. En juillet 2025, au plus fort d’une campagne contre l’Algérie, l’agence APS rappelait que Boualem Sansal est «un citoyen algérien de naissance, formé par ses universités, employé par ses institutions et retraité comme cadre supérieur de l’Etat».
Un pays amené à juger et à condamner un personnage ayant ce profil doit forcément se demander où la sortie de route a eu lieu, comment cela a été possible, et quelles en sont les conséquences. Au moins pour comprendre comment un pays est montré du doigt dans le monde entier sur la base d’une accusation fausse, accusation selon laquelle il emprisonne des écrivains à cause de leurs idées.
Dans le cas précis de M. Sansal, c’est pourtant faux. L’homme a tenu des propos qui tombent sous le coup de la loi. Malgré cela, des analystes considérés plutôt comme rigoureux, à l’instar de Pascal Boniface, ont dit que M. Sansal «n’a rien à faire en prison», où il aurait été jeté «pour ses idées». Et dire que ces fameuses idées de M. Sansal ont été mises au service du pouvoir algérien pendant toute sa carrière!
Sansal, acteur d’une diplomatie parallèle
Rappel.
Dans la douleur des années 1990, l’Etat algérien a utilisé tous les moyens pour faire face à la déferlante islamiste. C’était de bonne guerre. Il a utilisé des intellectuels, des artistes, des militants associatifs, des journalistes, des écrivains, des sportifs, pour mobiliser l’opinion internationale, dans une sorte de diplomatie parallèle plus crédible que celle du Ministère des Affaires étrangères. François Burgat appelait cela des «commandos médiatiques» qui sillonnaient le monde pour porter la bonne parole.
Boualem Sansal, alors écrivain peu connu, a fait partie du lot. Jusque-là, c’était un haut fonctionnaire passé par l’école polytechnique, devenu un ponte du ministère de l’industrie. Ses penchants littéraires et ses convictions anti-islamistes en ont fait un candidat idéal pour faire partie de ces groupes qui sillonnaient le monde pour dénoncer la barbarie intégriste. Le pouvoir DRS de l’époque en a fait une star.
L’indigène de service
Le temps a ensuite fait son œuvre. L’homme a commencé à se sentir à l’étroit dans son costume d’agent d’influence. Grisé par ses nouvelles fréquentations, dans ce monde qu’il considère comme l’élite intellectuelle et les faiseurs d’opinion occidentaux, il a commencé à regarder de haut ses concitoyens, qu’il considère désormais comme des incompétents, des ignares, si différents du monde raffiné auquel il aspirait appartenir. Il est progressivement devenu l’indigène de service, celui qui raille ses semblables pour plaire aux nouveaux maîtres, l’indigène dont les propos réconfortent le colon, rassurent l’occupant, réconfortent l’envahisseur, appuient l’oppresseur, légitimant leur violence et effaçant toutes les injustices qu’ils commettent.
Un agent passé chez l’ennemi
A ce stade, Boualem Sansal était devenu une cible facile pour des services de renseignements à l’affût. Et ils étaient nombreux. A partir de quand, et au profit de qui il a franchi le pas? Difficile à dire.
Pourtant, des faits inquiétants s’accumulaient depuis des années. L’homme était en roue libre, taillant en pièces le pays, ses dirigeants, son histoire, ses frontières, ses héros. Il n’avait plus de limites. Il semblait échapper à tout contrôle, n’hésitant pas à trouver des relents de nazisme chez les moudjahidine de l’Armée de Libération Nationale, tout en tenant ouvertement des propos pro-israéliens et pro-marocains.
Comment un influenceur des années 1990, fabriqué de toutes pièces, a-t-il pu ainsi échapper à tout contrôle ? La réponse la plus probable tient en quelques mots: il n’y avait plus de gestion, résultat, entre autres, de la déliquescence des institutions durant l’ère Bouteflika, et de l’instabilité qui a touché les services de sécurité depuis une décennie.
Retour sur terre
Malgré ces péripéties, l’homme voyageait librement. Il avait décidé d’acquérir la nationalité française, obtenue en 2024. Son arrestation il y’a un an an mis une fin brutale à cette séquence, pour en ouvrir une autre, faites de polémiques, de haine, de menaces et d’une dégradation continue des relations bilatérales.
Ce fut une séquence animée, avec des événements cocasses. Comme cette image de l’ancien premier ministre François Bayrou, flanqué de son ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, qui lançait à l’Algérie un ultimatum de six semaines pour libérer Boualem Sansal. Ou encore Retailleau lui-même, brandissant sa fameuse «riposte graduée», avant d’être emporté par les flots, lui qui se voyait un avenir brillant après avoir fait main basse sur le parti de la droite classique en surfant sur l’affaire algérienne
Fragilités
Cette attitude a révélé une étonnante fragilité française. Des dirigeants d’un pays membre du conseil de sécurité, disposant de l’arme nucléaire, ont fait preuve d’une cécité remarquable sur ce dossier; un président, en difficulté, s’est laissé embarquer dans une impasse par un ministre guidé par ses seules ambitions et n’hésitant pas à copier les thématiques de l’extrême-droite; un diplomate qui a effectué deux mandats d’ambassadeur dans un même pays a fini par dévoiler toute la détestation qu’il avait pour ce pays!
Et au-delà, l’affaire Sansal a constitué un terrain béni pour poursuivre la banalisation du discours d’extrême-droite en France. Comme elle a confirmé la capacité de nuisance de la puissance médiatique qui domine les réseaux de pouvoir français.
Les implications sur les échéances politiques françaises sont évidentes. Les Algériens résidents en France et les franco-algériens risquent d’en faire les frais. Même si les choses semblent prendre un nouveau virage car, visiblement, en France, le dossier Algérie a changé de mains.

