Ahmed Abdelkrim
Le 8 septembre s’annonce comme une date charnière dans la vie politique française.
Le Premier ministre François Bayrou a choisi de solliciter la confiance de l’Assemblée nationale sur un budget d’austérité inédit. Quarante-quatre milliards d’euros d’économies ou de taxes : c’est le prix que l’exécutif juge nécessaire pour ramener un déficit à 5,8 % du PIB, hors des clous européens. Mais la probabilité d’un rejet est immense. La gauche a déjà annoncé son opposition, le Rassemblement national appelle à la chute immédiate du gouvernement, et même certains alliés de circonstance de la majorité présidentielle doutent de l’efficacité de ce plan.
L’initiative de Bayrou ressemble à un pari impossible. Nommé en urgence par Emmanuel Macron au cœur de l’été, il apparaît déjà comme un « fusible », dont la fonction première est de gagner quelques semaines, au mieux quelques mois, dans une architecture institutionnelle à bout de souffle. Son impopularité, mesurée à moins de 20 % de confiance dans les derniers sondages, en fait le Premier ministre le plus fragile de la Ve République.
Macron, un président sans cap
Depuis les législatives de 2024 et la perte de sa majorité absolue, Emmanuel Macron gouverne par fragments, entre compromis bancals et coups de force institutionnels. Sa cote de confiance, tombée à 27 %, illustre une lassitude profonde. Ses marges de manœuvre sont d’autant plus réduites qu’il ne peut constitutionnellement plus se représenter.
Le président français tente aujourd’hui de jouer la carte des alliances transversales, en lorgnant tantôt vers Olivier Faure et les socialistes, tantôt vers Bruno Retailleau et une partie de la droite. Mais cette “géométrie variable” ne convainc personne. Ses adversaires le décrivent comme un président perdu, prisonnier de sa propre verticalité, incapable d’ancrer un projet collectif.
Les scénarios du 8 septembre
Trois hypothèses se dessinent.
Première possibilité : Bayrou échoue, Macron nomme un nouveau Premier ministre. Le scénario du « fusible » répété. Mais qui accepterait ce rôle de « pigeon », condamné à l’échec avant même de commencer ? La fonction de chef de gouvernement, déjà réduite à une variable d’ajustement, perdrait encore en crédibilité.
Deuxième option : la dissolution. 63 % des Français y sont favorables, selon les enquêtes. Mais ce recours, déjà utilisé en 2024, pourrait se transformer en suicide politique : les projections donnent au Rassemblement national une percée sans précédent, tandis que la gauche radicale espère capter la colère sociale. Emmanuel Macron s’y refuse publiquement, mais la pression pourrait le contraindre.
Troisième issue : maintenir Bayrou, en minorité permanente, et gouverner à coups de 49.3, de budgets rabotés et de compromis laborieux. Ce serait la paralysie institutionnelle, au risque d’alimenter encore davantage la défiance citoyenne.
« Bloquons tout » : la rue en embuscade
Au malaise parlementaire s’ajoute une menace sociale d’ampleur. Le mouvement du 10 septembre, baptisé « Bloquons tout », affiche un soutien massif dans l’opinion.
Plus de 70 % des sondés approuvent ses revendications, qui vont de l’opposition au budget Bayrou à l’exigence de la démission du président. Ses promoteurs annoncent des blocages de routes, de dépôts pétroliers, de sites industriels et de transports.
Si cette stratégie de paralysie se concrétise, elle frappera une économie déjà en récession technique, plombée par la dette et la désindustrialisation. Les investisseurs internationaux observent avec inquiétude la situation française : la hausse des taux d’intérêt fragilise l’État, tandis que les marges de manœuvre fiscales se réduisent. Le spectre d’une crise à la grecque, souvent évoqué à Paris, alimente désormais ouvertement les débats à Bruxelles.
Vers une crise de régime ?
Au-delà du vote du 8 septembre, c’est la légitimité même des institutions qui se trouve questionnée. Le pouvoir exécutif, concentré entre les mains d’un président affaibli et de Premiers ministres interchangeables, semble incapable de répondre aux fractures sociales et territoriales. Le Parlement, éclaté en blocs irréconciliables, est réduit à un théâtre de veto croisés. La rue, plus mobilisée que jamais, cherche à imposer un rapport de force direct.
Emmanuel Macron survivra-t-il à ce nouveau coup politique ? Probablement pas. L’exécutif souhaite tenir par la ruse institutionnelle et par l’usure, mais chaque jour qui passe affaiblit son socle. Derrière Bayrou, derrière les débats budgétaires, c’est un régime tout entier qui vacille, incapable de produire du consensus, ni même de simples compromis durables.