الحراك الإخباري - Le blé de la colère : le Makhzen pris au piège de sa politique
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Le blé de la colère : le Makhzen pris au piège de sa politique

منذ 8 ساعات|الأخبار


Ahmed ABDELKRIM 


Les chiffres sont bruts, têtus, implacables, et dessinent les contours d’un revers cinglant pour le Royaume chérifien: 5,9 millions de tonnes de céréales et produits dérivés ont été importées par le Maroc entre janvier et mai 2025, selon les données les plus récentes de la Fédération nationale des négociants en céréales et légumineuses (FNCL). Une dépendance alarmante qui révèle l’ampleur d’une crise silencieuse mais profonde, celle d’un pays de plus en plus incapable de nourrir sa population sans le recours massif aux marchés étrangers.

Le blé tendre, denrée de base dans l’alimentation marocaine, représente à lui seul près de la moitié de ces importations (2,95 millions de tonnes entre juin 2024 et janvier 2025), suivi du maïs (1,94 million de tonnes) et de l’orge (environ 8%). Aucun gramme d’orge n’a été importé en mai, un signe troublant d’un possible épuisement de la trésorerie publique ou d’une désorganisation dans la chaîne d’approvisionnement.

Une agriculture sinistrée 

En toile de fond, une évidence : la production nationale marocaine est exsangue, victime d’années de sécheresse et de conditions climatiques de plus en plus extrêmes en plus d’une gestion chaotique des décisions stratégiques du pays. Le constat, connu de tous mais assumé par personne au sommet de l’État, fragilise profondément la souveraineté alimentaire du pays. Ce qui fut un pilier de stabilité — la terre nourricière — est désormais un terrain miné, échappant à tout contrôle du Makhzen. De catastrophe en catastrophe, le pays rentre droit dans le mur, victime d’un système malade, autoritaire, en panne de solutions.

À cet égard, les importations massives ne sont pas une solution mais un aveu d’échec. Elles pèsent lourdement sur les finances publiques, déjà sous tension, et exposent le pays à la volatilité des cours internationaux et aux logiques géopolitiques des grands producteurs.

La diplomatie du blé 

Sur le terrain des fournisseurs, la hiérarchie se réorganise. En janvier, la Bulgarie s’est hissée au premier rang des exportateurs de blé tendre vers le Maroc avec 93 398 tonnes, devançant la France, partenaire traditionnel. Dans le même temps, la Russie renforce sa mainmise, avec 124 000 tonnes livrées en trois mois — un chiffre en forte hausse par rapport à l’an dernier.

Derrière ces chiffres, une inquiétante dérive stratégique : le Maroc, dépendant, devient vulnérable aux décisions de puissances extérieures dont les objectifs économiques ou politiques ne coïncident pas nécessairement avec ses intérêts. La "diplomatie du blé" est désormais un levier sur lequel d'autres États peuvent agir. Le Makhzen ne déjoue plus les crises : il les organise.

Logistique sous tension, stratégie introuvable 

Les ports marocains absorbent tant bien que mal ce flux, notamment Casablanca (56% des volumes), Jorf Lasfar (25%) et Agadir (10%). Mais cette capacité logistique, si elle illustre un certain savoir-faire technique, ne saurait masquer l'absence d’une vision agricole nationale à la hauteur des défis.

La politique céréalière du Royaume s’apparente de plus en plus à une fuite en avant. Plutôt que d’investir massivement dans la résilience agricole — irrigation intelligente, soutien aux petits producteurs, rénovation des systèmes de stockage — le pouvoir central a multiplié les rustines et les arbitrages à courte vue, exposant l’ensemble de la population à des risques systémiques. Une fuite en avant qui transforme chaque tonne importée en symptôme d’un affaiblissement structurel.

Un nouvel échec du Makhzen 

Il ne s’agit plus seulement de sécheresse ou de fluctuations du marché mondial. Il s’agit de l’incapacité chronique d’un régime à anticiper, planifier et protéger l’avenir alimentaire du pays. À chaque tonne importée, c’est un peu plus de souveraineté qui s’effrite, un peu plus d’indépendance qui se négocie au prix fort. En ne réformant pas en profondeur son modèle agricole, le Maroc creuse le lit d’une dépendance structurelle lourde de conséquences. Ce nouveau désastre céréalo-logistique s’ajoute à une série d’échecs qui ébranlent la promesse de stabilité sociale longtemps brandie par le Makhzen.

Vers la famine et la colère?

Car l’enjeu dépasse aujourd’hui les équilibres budgétaires ou les statistiques agricoles : c’est la stabilité même du pays qui vacille. Une raréfaction prolongée des denrées de base, couplée à une hausse des prix alimentaires, risque d’engendrer une insécurité alimentaire inédite, voire une situation de famine dans les régions les plus vulnérables. L’histoire récente de la région rappelle que les pénuries alimentaires ont souvent été le déclencheur de soulèvements populaires.

Dans un contexte où la jeunesse est déjà marquée par le chômage, la précarité et la défiance vis-à-vis des institutions, le spectre d’une crise sociale majeure se profile.  

Le Makhzen, qui a longtemps cru pouvoir acheter la paix sociale à coups de subventions et d’importations, se retrouve aujourd’hui au bord du gouffre.

تاريخ Jun 7, 2025