De Paris: Souheila BATTOU
Journaliste/Cinéaste
Aux Gares de Paris : La "Chasse à l'Homme"
« Attention ! Risque de rafle de personnes sans papiers. Prenez les transports le moins possible. » Ce message, désormais placardé aux alentours de toutes les gares de Paris, n'est plus une simple alerte locale. Il s'est mué en un cri d'alarme généralisé, un sombre rappel des tensions qui électrisent la capitale française face à la politique migratoire actuelle. Ces affiches, souvent discrètes mais percutantes, traduisent une peur bien réelle. Derrière chaque affiche se cachent des vies en suspens, des familles fragmentées, l'angoisse permanente d'un contrôle, d'une arrestation, d'une expulsion.
Ces affiches répondent directement aux "Opérations Place Nette Étrangers". Un intitulé percutant, qui évoque un coup de balai sémantique : "Place nette" signifie épurer, purger les lieux d'une présence jugée indésirable. Appliqué à des êtres humains, des "étrangers", ce slogan franchit un seuil inquiétant : une politique de contrôle se transforme alors en campagne de déshumanisation pure et simple.
La Ligue des Droits de l'Homme (LDH) ne s'y trompe pas, dénonçant ouvertement une "chasse aux migrants". Une traque marquée par des contrôles au faciès, des rétentions abusives, et des pratiques policières discriminatoires, souvent contraires au droit international. Cette approche oublie cyniquement que ce sont ces mêmes "indésirables" qui nettoient les villes de France, veillent sur les personnes âgées délaissées du pays ou fournissent les bras essentiels à l'économie française.
Mais au-delà des rafles et de la déshumanisation, une fracture morale béante s'ouvre au cœur du discours national : celle d'un double standard criant. D'un côté, une alerte nationale et une traque médiatique et juridique impitoyable pour les jeunes Français musulmans partis en Syrie ou Irak. De l'autre, un silence assourdissant, une passivité officielle déconcertante, pour l'accueil des Français juifs revenant du massacre de Gaza, et pourtant impliqués aux côtés de Tsahal dans ce génocide. La France, principal pourvoyeur de ces volontaires, doit faire face à leur responsabilité sous le poids des accusations de crimes de guerre. Pourquoi alors deux poids, deux mesures ? Comment, d'ailleurs, imaginer que ces 150 000 Israéliens qui pourraient débarquer accepteraient les "petites besognes" réservées aux sans-papiers ? La satire elle-même peine à le concevoir. Précisons-le : il s'agit, après tout, du "peuple élu" de Dieu, non d'une main-d'œuvre corvéable à merci. Ce miroir, tendu à la France, est universel : un reflet de dilemmes moraux et politiques qui hantent tant de nations.
Face à ces incohérences criantes et à cette dissonance morale, l'indignation citoyenne n'a pas tardé à s'exprimer. Ce contraste flagrant a ainsi trouvé un écho puissant lors de la Fête de la Musique. En direct sur les chaînes françaises, Youssef Reziki, alias Youssef Swatt's, l'artiste belgo-algérien, a dénoncé sans détour la "chasse aux sans-papiers" évoquant les sombres heures de Vichy. Sa prise de parole, devant des millions de téléspectateurs, fut un moment marquant : une interpellation directe du ministre de l'Intérieur
Voici l'intégralité de son puissant manifeste :
« Je suis obligé de profiter de cette heure de grande écoute pour adresser mes pensées aux peuples opprimés, de la Palestine, au Congo, au Soudan, au Yémen, aux sans-papiers en France qui se font chasser par Bruno Retailleau comme si on était dans les années 40. La musique sera toujours là pour résister au fascisme, à l'extrême-droite à ses dérives. Merci de m'avoir écouté, vive le rap, vive la musique et vive la lutte pour la liberté. »