Par Abed Charef
Il est le spécialiste de l’Algérie par excellence, il est l’ami de Boualem Sansal, il est aussi l’homme qui a joué un rôle central dans la politique française en Algérie pendant une décennie, comme il est le seul ambassadeur de France à avoir occupé deux fois ce poste à Alger. De plus il a écrit un livre sur l’Algérie, et il est l’homme qui mène campagne contre le pays où il a longtemps représenté le sien. Vu sous cet angle, Xavier Driencourt affiche un bilan plutôt exceptionnel. Cerise sur le gâteau, l’homme continue à avoir une forte présence médiatique, liée évidemment à l’Algérie, contre laquelle il brandit menaces et critiques acerbes, tout en prodiguant des conseils aux dirigeants français. Il est, avec le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, le partisan de ce qu’il appelle une riposte graduée, supposée faire plier les autorités algériennes, accusées de refuser le rapatriement de dangereux ressortissants algériens, voire d’organiser des tentatives d’enlèvement d’opposants algériens en France. Bref, Xavier Driencourt est, avec Bruno Retailleau, la star française du moment en ce qui concerne le dossier algérien.
Cette notoriété ne date pas d’aujourd’hui. Si l’on en croit des tweets de journalistes postés pendant le hirak, en 2019, M. Driencourt tenait déjà la vedette à cette époque. C’est par lui que Emmanuel Macron s’informait de ce qui se passait en Algérie durant ces mois d’effervescence qui ont fait chuter Abdelaziz Bouteflika et envoyé une bonne partie de ses équipes en prison, dont trois premiers ministres, plus de vingt ministres et encore davantage d’officiers généraux. L’Elysée était alors en « alerte », et Emmanuel Macron ne se contentait pas de lire « tous les rapports diplomatiques », il appelait directement son ambassadeur à Alger, M. Driencourt, pour s’informer sur la situation.


On ne sait pas ce qu’était à ce moment-là l’analyse de M. Driencourt. On sait cependant comment elle avait évolué trois mois plus tard, en juillet 2019, lorsque l’armée avait poussé Abdelaziz Bouteflika vers la sortie, et entamé une campagne anti-corruption jamais vue auparavant, si on examine de près la liste des personnes placées en détention, jugées et condamnées.
A en croire ce tweet, M. Driencourt était dans une admiration sans bornes pour l’Algérie. De Mecque des révolutionnaires, elle était en phase de devenir une Mecque des révolutions.

Mais à ce moment-là, l’Algérie avait basculé. L’armée avait repris la main. Le hirak avait rempli sa mission, éviter un cinquième mandat de Bouteflika et favoriser une grande opération pour éliminer ses anciens réseaux et clientèles, mais ceux qui étaient présentés comme leaders du hirak n’étaient plus en position de dicter leurs conditions.
D’où cette ambiguïté : quand M. Driencourt faisait l’éloge du hirak révolutionnaire en juillet 2019, il semblait faire allusion aux activistes qui tentaient de maintenir la contestation, plutôt qu’à une démarche pouvant déboucher sur une sortie par le haut.
En tout état de cause, des rumeurs laissant entendre que la présence de M. Driencourt en Algérie n’était plus souhaitée ont commencé à circuler dès l’été 2019. Et l’ambassadeur quittait son poste l’année suivante, après l’organisation d’élections présidentielles dans des conditions difficiles, une option qui ne semblait pas convenir à M. Driencourt.
Qu’importe. M. Driencourt s’est aussitôt consacré à l’écriture d’un livre, L’énigme Algérienne, chronique d’une ambassade à Alger, qui lui a permis de rebondir aussitôt après son départ à la retraire en 2022.
De fait, après avoir occupé tous ces postes et avoir écrit ce livre, M. Driencourt apparaissait dès lors comme la personne la mieux qualifiée pour parler de l’Algérie dans les médias français. Et il ne s’en est pas privé.
Il est, entre autres, l’un des principaux inspirateurs de la fameuse théorie de la « riposte graduée » face à l’Algérie. Selon lui, la France dispose de moyens de pression pour faire plier l’Algérie, qui refuserait notamment d’accueillir des ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, les fameuses OQTF
Devenu entretemps membre du « comité stratégique » du média d’extrême-droite Frontières », où officie celui qu’il qualifie d’ami, Boualem Sansal, il propose en vrac d’abroger l’accord de 1968 sur la circulation des personnes entre les deux pays, de mettre fin à l’accord de 2007 permettant aux détenteurs de passeports diplomatiques des deux pays de voyager sans visa, et même de contrer la volonté algérienne de renégocier l’accord d’association avec l’Union européenne. Ses suggestions n’ont aucune validité, ni aucun impact. A titre d’exemple, l’accord de 2007 est rendu caduc par une simple interdiction du ministère algérien des affaires étrangères à son personnel et à leurs familles de se rendre en France ou de transiter par la France. Quant à l’accord de 1968, son abrogation signifie qu’il faut revenir aux accords d’Evian, qui prévoient une libre circulation totale entre les deux pays !
L’expertise de M. Driencourt se révèle alors pour ce qu’elle est : une immense supercherie. Ce qui pousse les dirigeants français à une révision douloureuse : et si l’analyse de M. Driencourt
Dans une interview qui a fai le buz, M. Barrot n’hésite pas à charger l’ancien ambassadeur de France en Algérie. Le journaliste qui mène l’interview face à M. Barrot veut lui poser des questions sur « une tribune d'un ancien ambassadeur de France qui connait bien le sujet , c'est l'ancien ambassadeur de France en Algérie, il dit que... »
M. Barrot le coupe, et réplique :
- « C'est vous qui le dites »…
Le journaliste, interloqué, revient à la charge :
- « Il sait à peu près de quoi il parle... »
M. Barrot ne se démonte pas :
- « C'est vous qui le dites ».
Le journaliste, encore plus étonné :
- « Ah bon! Parce qu'il ne sait pas de quoi il parle ?
- C'est vous qui le dites. Je vous laisse maître de vos propos ».
Ensuite, M. Barrot déclare de manière tranchée :
- « Je ne commente pas ceux qui constamment jettent de l'huile sur le feu ». Il rappelle ensuite que « le principe numéro un de la diplomatie, c'est qu'il faut toujours laisser sa chance au dialogue. Ceux qui vous disent le contraire sont des irresponsables ».
Un qualificatif sans équivoque, donc. Le ministre français des affaires étrangères qualifie l’homme qui a représenté la France en Algérie de 2008 à 2012, puis de 2017 à 2020, d’irresponsable. Il n’y a rien à ajouter.