Ahmed Abdelkrim
Le Maroc célèbre en grande pompe le 26e anniversaire de l’intronisation du roi Mohammed VI. Mais derrière les discours officiels, les drapeaux et les cérémonies monarchiques, un malaise profond traverse le royaume. Fragilisé par une crise économique aiguë, un climat social délétère et un pouvoir de plus en plus distant, le pays s’enfonce dans un désenchantement collectif que le Makhzen peine à contenir.
Un pays en souffrance : crise économique et fracture sociale
Le Maroc traverse l’une des périodes les plus difficiles de son histoire récente. Le taux d’inflation, officiellement autour de 5,5 % en 2024, cache des réalités bien plus dures dans les produits de première nécessité, dont les prix ont parfois doublé en deux ans. Le dirham perd de sa valeur, le pouvoir d’achat s’effondre et les inégalités explosent.
Avec une dette publique qui frôle les 104 % du PIB selon les dernières estimations, le royaume est aujourd’hui sous forte pression financière. Le service de la dette absorbe une part croissante du budget national, limitant les marges de manœuvre pour les politiques sociales, alors même que les besoins sont criants. L’endettement extérieur, contracté auprès d’institutions financières internationales et de partenaires bilatéraux, soumet le pays à une dépendance économique structurelle.
Dans les quartiers populaires de Casablanca, Fès, Tanger ou Marrakech, la misère est de plus en plus visible. Le chômage des jeunes atteint des niveaux alarmants, dépassant les 35 % dans certaines régions. Les diplômés, désabusés, fuient un pays qui ne leur offre ni avenir ni perspectives, tandis que les campagnes s’appauvrissent dans un silence glacial.
Sur le plan économique, la situation du Maroc est très préoccupante. Le service de la dette représente à lui seul environ 8 % des recettes publiques, exerçant une pression croissante sur les finances de l’État. Les taux d’intérêt sur les emprunts à long terme dépassent les 3,4 %, tandis que le taux directeur reste fixé à 2,5 %. À ce rythme, et malgré des efforts de rationalisation budgétaire, les projections les plus optimistes ne prévoient une stabilisation du ratio dette/PIB autour de 65 % qu’à l’horizon 2029. En parallèle, l’inflation grignote le pouvoir d’achat, les prix des produits de première nécessité explosent. Ce tableau assombri par la misère, l’endettement et l’inégalité vient fissurer davantage encore le mythe d’un royaume moderne et prospère.
Rif : une blessure ouverte
La répression brutale du mouvement Hirak en 2017, né dans la région du Rif, a laissé une plaie béante dans la conscience nationale. La colère des populations du nord n’a jamais été apaisée : marginalisation, absence de services publics dignes, chômage massif, sentiment d’abandon… Le Rif reste une zone sous surveillance, avec des dizaines de militants toujours emprisonnés, dans l'indifférence du pouvoir central.
Cette fracture territoriale s’ajoute à une fracture sociale : le Maroc à deux vitesses, entre les élites proches du pouvoir, enrichies par la rente et les réseaux, et le reste de la population, livré à la débrouille, au travail informel et à la migration clandestine.
Un pouvoir opaque, un roi affaibli
Le règne de Mohammed VI, qui avait suscité l’espoir d’un Maroc moderne et démocratique à la fin des années 1990, apparaît aujourd’hui comme l’histoire d’une promesse trahie. Le roi est de plus en plus absent de la scène publique. Des rumeurs persistantes évoquent une sarcoïdose pulmonaire, tandis que le pouvoir est désormais accaparé par des cercles restreints du Makhzen et des appareils sécuritaires concurrents.
L’affaire Mehdi Hijaoui, ancien haut responsable des renseignements marocains (DGED), qui a fui le pays avec des informations sensibles, illustre la crise de confiance au sommet de l’État. Les rivalités entre les services (DGED et DGST) révèlent une architecture du pouvoir fragmentée, où les décisions se prennent dans le secret, sans consultation ni transparence.
Normalisation avec Israël : la trahison perçue
L’alignement du Maroc sur les Accords d’Abraham, décidé sans débat national, a provoqué une onde de choc. Nombre de Marocains voient dans cette décision une trahison de la cause palestinienne, emblématique de la dérive stratégique du royaume. Si les autorités vantent les bénéfices diplomatiques de cette alliance, notamment la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, le coût moral et politique est immense.
Les universités connaissent des vagues de protestation malgré la répression, et les partis islamistes, tout comme de larges pans de la société civile, dénoncent un choix imposé par le haut, sans légitimité populaire.
Un royaume affaibli, un peuple oublié
Alors que le trône célèbre ses vingt-six années de règne, le contraste avec la réalité vécue par les Marocains est saisissant : une monarchie de plus en plus opaque, un souverain invisible, une jeunesse sacrifiée, une économie étranglée par la dette et l’inflation, et une politique étrangère déconnectée des aspirations populaires.
Le récit du « Maroc stable et moderne » ne tient plus. L’image soignée d’un pays en pleine transformation cache en vérité un pays en crise multidimensionnelle, où le tissu social se déchire, où la confiance s’effondre et où la monarchie donne l’impression de régner depuis l’étranger, loin de son peuple.
Le pays traverse une crise économique et sociale d’une ampleur inédite — marquée par un chômage massif, une dette publique étouffante, une inflation galopante et une pauvreté croissante — le pouvoir continue de détourner l’attention en alimentant les tensions régionales. Plutôt que de chercher à déstabiliser ses voisins, le Makhzen ferait mieux de se concentrer sur l’essentiel : nourrir son peuple, protéger ses citoyens et stopper l’emprise grandissante d’Israël, qui, sous couvert de coopération sécuritaire, s’accapare discrètement des terres marocaines avec la bénédiction des autorités locales. Une dynamique silencieuse mais dangereuse qui pourrait, à terme, transformer les Marocains en étrangers sur leur propre sol. Pendant ce temps, le pays est dirigé par un souverain malade et absent, une monarchie silencieuse, une armée traversée par des tensions internes, et une population laissée pour compte. Le Maroc n’est plus à la croisée des chemins, il est au bord du précipice.