Abed Charef

Depuis qu’il a été publiquement humilié à la Maison Blanche, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été mis sous tutelle par l’Europe, après avoir perdu celles des États-Unis.
Promu chef de guerre au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, accueilli en héros dans les pays occidentaux, incité à poursuivre une guerre qui a détruit son pays, l’ancien comédien semblait avoir perdu tout sens du réel, jusqu’au 18 février 2025. Il houspillait les dirigeants occidentaux qui ne fournissaient pas assez d’aide militaire, faisait la liste des besoins de l’armée ukrainienne qu’il transmettait à travers les médias aux alliés occidentaux, s’incrustait dans tous les forums internationaux et au congrès américain comme à La Maison Blanche, et réussissait à faire la «une» de l’actualité chaque semaine. C’était la star, l’homme le plus médiatique du monde.

Un bilan terrible

Le monde a vacillé pour lui le 18 février 2025 lorsque, invité à La Maison Blanche, il a voulu faire le coq. Il s’est présenté en tenue de camouflage, pour s’adresser au président Donald Trump et à son vice-président JD Vance comme il avait l’habitude de le faire, prenant ses interlocuteurs de haut, selon un exercice de communication bien rôdé.
Mais jour-là, il s’est trompé de public. il s’adressait à un homme de spectacle comme lui, un spécialiste des frasques et des outrances, secondé par un idéologue radical, ancien militaire de surcroît.
Donald Trump JD Vance l’ont brutalement ramené à la réalité, en lui exposant crûment la situation : M. Zelensky était à la tête d’un pays qui perdait la guerre, économiquement dévasté, son armée était en déroute, elle ne tenait que grâce aux financements et aux armes américaines, elle ne voyait que par les satellites américains.
Le bilan de M. Zelensky est encore plus difficile en termes de population et de géographie. Depuis qu’il a accédé au pouvoir, l’Ukraine a perdu près du quart de sa population, entre ceux qui ont quitté le pays (près de sept millions), ceux qui se trouvent dans des régions annexées par la Russie, et les victimes de la guerre, le tout s’ajoutant à un déclin démographique prononcé. Quant aux territoires, ceux que la Russie occupe et veut annexer représentent 18% de l’Ukraine, Crimée non comprise.
Difficile d’imaginer pires conditions au moment d’aller aux négociations. C’est pourtant ce à quoi est contraint M. Zelensky, qui s’est mis désormais sous la tutelle de l’Europe. Ce qui a donné une image cocasse, lorsqu’il a été invité à Washington une semaine après le sommet Trump - Poutine d’Anchorage. M. Zelensky y est allé accompagné des principaux dirigeants européens, qui ont docilement écouté Donald Trump leur faire la leçon.
Au cours de son tête-à-tête avec Trump, Zelensky a changé de ton et de style. Il a longuement remercié le président américain, auquel il s’adressait avec une déférence remarquée. Du reste, ce sont les dirigeants européens qui ont plaidé la cause de l’Ukraine, Zelensky se mettant en retrait. La leçon avait été bien apprise.

Oligarques et hiérarchie militaire

Comment M. Zelensky pourra-t-il gérer tout cela, face à une autre tutelle, beaucoup plus opaque, celle de l’appareil militaro-policier et des réseaux d’argent ukrainiens? C’est un autre front qu’il devra affronter, car la dynamique de la guerre a donné naissance à de nouvelles élites militaires et économiques, soudées jusqu’à présent autour de Zelensky, mais qui risquent d’éclater une fois la paix revenue.
Quand on sait que l’Ukraine est réputée comme l’un des pays les plus corrompus au monde, et que la guerre est un moment qui favorise la création de fortunes, on se doute que certaines d’entre elles, colossales, se sont constituées à l’ombre de la guerre. Les détenteurs de ces fortunes risquent de perdre gros avec la fin de la guerre, et les règlements de compte sur lesquels peut déboucher un retour de la paix.
Leur attitude va peser sur les décisions à venir. En plus du pouvoir que détiennent ces oligarques et ces militaires, ils disposent d’arguments politiques et juridiques de poids. Ainsi, quand les vents semblaient favorables, M. Zelensky, poussé par l’euphorie, avait interdit toute négociation avec M. Poutine et toute cession de territoire à la Russie. Aujourd’hui, cette hypothèse fait partie intégrante du plan Trump. Comment s’en sortir?
M. Zelensky est sur une pente glissante. Il le sait d’autant mieux que son mandat de président a expiré, et que, de fait, il n’est plus président légitime selon la lettre de la constitution ukrainienne.
Un chef d’État qui accumule autant de déboires ne peut être sauvé que par une seule tutelle, celle de son peuple. M. Zelensky a parié sur beaucoup de tutelles, celle de l’OTAN, des États-Unis, de l’Europe, mais pas sur celle-là. Ce qui explique l’impasse totale où il se trouve, avant le saut final.