Par Ahmed Abdelkrim
Une escalade calculée, mais sans portée réelle
Le 6 août 2025, Emmanuel Macron a ordonné la suspension unilatérale de l’accord d’exemption de visas diplomatiques signé en 2013 entre Paris et Alger. Officiellement, la décision serait motivée par des tensions migratoires et sécuritaires. Officieusement, elle tient surtout d’un geste théâtral, calibré pour séduire une partie de l’opinion française, lassée par des années de débats sur l’immigration et la sécurité.
Du côté algérien, la réponse a été ferme mais méthodique : dénonciation des « pressions et ingérences », retrait symétrique de l’accord, et application stricte du principe de réciprocité. Contrairement à ce que certains observateurs français attendaient, Alger n’a pas cédé à l’emportement. La réaction a été pesée, calibrée, adossée au droit international.
Le droit diplomatique, un cadre ignoré par Paris
Le statut des diplomates et les privilèges dont ils jouissent sont régis par la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Ce texte, pierre angulaire des relations internationales, impose aux États hôtes des obligations précises : liberté de mouvement pour les diplomates, immunité, facilitation des missions officielles, et, dans de nombreux cas, exonération de certaines formalités administratives.
L’accord bilatéral franco-algérien de 2013 n’était qu’une extension pratique de ces principes, visant à fluidifier les déplacements des titulaires de passeports diplomatiques ou de service. En rompant unilatéralement cet accord, Paris envoie un signal contraire à l’esprit de la Convention de Vienne : l’usage de facilités diplomatiques comme instrument de pression politique. C’est un pas dangereux, car il fragilise la confiance mutuelle et ouvre la porte à des représailles tout aussi légales, mais symboliquement lourdes.
L’ironie, relevée dans plusieurs chancelleries, est qu’un pays comme la France, si prompt à donner des leçons sur l’État de droit, choisisse d’instrumentaliser un outil censé protéger la diplomatie des caprices politiques.
Psychologie politique d’un coup de communication
Macron se trouve dans la posture classique d’un président en fin de parcours. La Constitution française lui interdit de se représenter en 2027. Face à la montée d’une droite qui gravite autour de Bruno Retailleau, il joue la carte de la fermeté symbolique, plus pour nourrir le débat intérieur que pour obtenir des résultats tangibles avec Alger.
Ce recours à la gestuelle diplomatique révèle un ressort psychologique : la volonté de paraître ferme alors que la marge de manœuvre réelle se réduit. Plus qu’une stratégie de long terme, c’est une réaction épidermique aux pressions politiques internes.
La France, un donneur de leçons en position de faiblesse
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
• 3 345 milliards d’euros de dette publique fin 2025, soit 113,9 % du PIB.
• Un déficit budgétaire stable autour de 5,4–5,6 %, loin de la cible européenne de 3 %.
• Des mesures impopulaires annoncées par François Bayrou : suppression de jours fériés, gel des dépenses publiques, coupes dans la santé et les pensions.
Politiquement, Paris subit une érosion de son influence internationale. En Afrique, son retrait forcé de plusieurs pays symbolise un recul géopolitique ; en Ukraine, la France reste dans l’ombre de Washington, y compris depuis le retour en force de Donald Trump.
Sur la scène mondiale, Emmanuel Macron peine à inspirer le respect de ses homologues. Plusieurs chefs d’État le perçoivent comme un dirigeant affaibli, en déficit de charisme, davantage préoccupé par son image intérieure que par la cohérence de sa politique extérieure. L’absence de légitimité auprès d’une partie importante de ses propres citoyens, doublée d’une incapacité à peser sur les grandes décisions internationales, alimente un certain mépris à son égard, aussi bien dans les capitales européennes que dans les pays émergents.
Cette perception fragilise encore davantage sa position lorsqu’il tente de projeter une posture de fermeté, perçue à l’étranger comme artificielle et déconnectée des rapports de force réels.
Dans ce contexte, multiplier les coups d’éclat contre Alger ressemble davantage à une manœuvre de diversion qu’à une politique étrangère construite.
La contradiction est flagrante : Paris, qui se présente volontiers comme gardien des principes universels, agit dans ce dossier avec une logique de court terme, imprégnée d’émotion et de réflexe politicien.
L’Algérie : patience, méthode et réciprocité
À rebours des clichés d’un tempérament politique “trop émotif”, Alger s’en tient au cadre juridique et à une stratégie patiente. L’application rigoureuse de la réciprocité, inscrite dans le droit international, est ici un levier de souveraineté.
En s’abstenant de tomber dans l’escalade verbale, l’Algérie consolide son image de partenaire fiable et pragmatique, capable de gérer les crises avec méthode. Elle démontre qu’une diplomatie ancrée dans la légalité et la prévisibilité offre un avantage moral certain, particulièrement face à un interlocuteur qui se laisse entraîner dans le registre émotionnel.
Pour préserver cet avantage, l’Algérie devrait maintenir sa ligne :
• continuer à répondre dans le cadre juridique, sans surenchère émotionnelle ;
• éviter d’entrer dans la dramaturgie imposée par Paris ;
• préparer l’après-2027 avec une vision claire, indépendante du futur locataire de l’Élysée ;
• mettre en avant des propositions de coopération économique et migratoire, mais uniquement sur des bases équilibrées.
Le durcissement affiché par Emmanuel Macron est moins une politique étrangère qu’un coup de communication interne. En choisissant la réciprocité mesurée et le respect scrupuleux du droit, Alger transforme chaque tentative de pression en preuve de sa solidité diplomatique. Pendant que Paris s’agite dans la temporalité électorale, l’Algérie trace sa route, méthodique et confiante, dans un jeu diplomatique où la patience finit toujours par payer.