Abed Charef
Bruno Retailleau out, François Bayrou oublié, Xavier Driencourt rejeté à la marge. Le dossier algérien, devenu l’objet d’une compétition politicienne et d’une surenchère permanente en France, a changé de mains. L’État profond a pris le relais des politiciens, pour imprimer une méthode, une attitude et une approche différentes, pragmatiques et efficaces.
Signe de ce changement, le président Emmanuel Macron a évité tout triomphalisme lorsqu’il reçu l’écrivain Boualem Sansal à l’Elysée, mardi 18 novembre, une semaine après sa libération grâce à une médiation allemande. De ce qui a été rendu public, il semble qu’il n’y ait eu ni photo ni cérémonie médiatique particulière. Cette discrétion, inhabituelle chez M. Macron, confirme ainsi un changement d’attitude notable dans la manière d’aborder les relations avec l’Algérie.
M. Macron s’est montré d’une sobriété remarquable cette fois-ci. Il a déclaré que la libération de Boualem Sansal «a été rendue possible par une méthode faite de respect, de calme et d’exigence». Ces propos tranchent avec ceux tenus début août, lorsqu’il demandait au gouvernement Bayrou d’«adopter une approche de plus grande fermeté» et de «prendre des décisions supplémentaires» contre l’Algérie.
Non seulement le président Macron s’est abstenu de brandir Boualem Sansal comme un trophée, mais il se fait modeste, réaliste. Il se contente de dire qu’il est «disponible» à «tout échange» avec le président Tebboune.
Retour au pragmatisme
Ces propos consacrent un virage amorcé depuis plusieurs semaines, et annoncé par le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu, ancien ministre des armées, qui se montrait partisan du dialogue et favorable à une reprise de la coopération bilatérale. «Quels que soient nos désaccords, on doit être capable de mener une discussion qui soit exigeante et qui protège nos intérêts», avait-il dit début novembre. Il avait surtout insisté sur «le respect de la souveraineté de l'Algérie», affirmant sa volonté de «ne jamais faire de la question de l'Algérie un sujet de politique intérieure en France». Sa déclaration résonnait comme en écho à celle du ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf, qui s’étonnait qu’un pays «aussi grand que la France» fasse d’un autre pays une affaire politique interne.
Les poids lourds
Dans le prolongement des propos de M. Lecornu, un autre poids lourd de l’Etat profond, le patron de Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)
Nicolas Lerner, avait déploré les conséquences négatives diplomatiques d’une «crise extrêmement grave» sur les plans économiques et sécuritaires pour les deux pays. Dans ce qui ressemblait à un appel du pied, il affirmait qu’il n’était dans «l'intérêt d'aucun des deux pays de rester dans cette situation de blocage», ajoutant: «La France est prête, la France a toujours été prête» à renouer le dialogue.
Il révélait aussi que parallèlement au discours agressif du duo Bayrou-Retailleau, les canaux de communication entre les deux pays «n'ont jamais été coupés». Et contrairement aux politiciens, il faisait preuve d’une étonnante confiance. «J'ose croire que, grâce aux canaux que nous avons préservés, si les services algériens étaient en capacité de détecter une menace sur le territoire national, ils l'auraient signalé».
Ce discours avait été déjà développé de manière encore plus prononcée par le nouveau ministre de l’intérieur Laurent Nunez, un préfet à l’ancienne, non issu d’un parti politique. «Ceux qui font croire aux Français que le bras de fer et la méthode brutale sont la seule solution, la seule issue, se trompent. Ça ne marche pas», avait-il tranché, prenant le contre-pied total de son prédécesseur.
Cette évolution contrastait avec l’hystérie développée dans les cercles politiques autour de l’Algérie et de l’écrivain Boualem Sansal. Le Rassemblement national (RN) faisait par exemple adopter par l’Assemblée Nationale une résolution, sans effet autre que symbolique, pour demander l’abrogation de l’accord de 1968 sur la circulation des personnes entre les deux pays. Le premier ministre Sébastien Lecornu a répondu froidement qu’il allait demander de renégocier cet accord, non l’abroger. Dans le fond et dans la forme, les choses ont évolué, signe que les nouveaux décideurs sur le dossier algérien, côté français, viennent d’un monde autre que celui de l’agitation. Le monde du vrai pouvoir en France.

