Par Abed Charef
Sur le plan factuel, l’événement apparaît comme un nouvel épisode d’une énième escalade entre deux pays africains voisins, cette fois-ci l’Algérie et le Mali. Mais en réalité, c’est une évolution politique dangereuse, qui illustre à la fois l’instabilité au Sahel et les difficultés de l’Algérie à maîtriser les retombées d’un conflit à sa frontière sud, un conflit relancé par les choix aventureux du pouvoir qui s’est installé à Bamako depuis 2021.
L’événement en lui-même, c’est bien sûr le drone malien abattu par la défense anti-aérienne algérienne dans la nuit du 31 mars au 1er avril. Le Mali a accusé l’Algérie d’avoir détruit ce drone en territoire malien, alors que le ministère algérien de la défense a affirmé que l’appareil avait pénétré dans l’espace aérien algérien.
Dans la foulée, le Mali a mobilisé ses alliés de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), Niger et Burkina-Faso, pour dénoncer l’attitude de l’Algérie et l’accuser d’«exporter le terrorisme», ce à quoi le ministère algérien des affaires étrangères a répondu par des propos d’une extrême virulence: il qualifie le pouvoir malien de « clique inconstitutionnelle » qui veut masquer l’«incapacité des putschistes à assumer la lutte antiterroriste réelle et effective », ainsi qu’un « échec patent à tous les niveaux, politique, économique et sécuritaire ».
La mesures qui ont suivi, avec la fermeture de l’espace aérien et le rappel des ambassadeurs, semblaient orienter la région vers une escalade inquiétante. Mais en réalité, le Mali ne pouvait guère aller au-delà de ces mesures symboliques. Il ne dispose ni des moyens militaires, ni d’un poids diplomatique, ni d’une force économique susceptible d’inquiéter l’Algérie.
En revanche, l’Algérie s’interdit une action militaire en territoire malien, même si elle redoute une détérioration supplémentaire à sa frontière sud. D’où les les mots très durs utilisés dans le communiqué du 7 avril, laissant entendre qu’il n’y a rien à attendre du président malien Assimi Goïta.
Des enjeux différents
La recrudescence de la guérilla au nord Mali, l’afflux de réfugiés vers l’Algérie, l’apparition d’un foyer terroriste supplémentaire au Sahel, le risque d’intrusion d’autres puissances dans la région: tout ceci constitue un abcès dont l’Algérie se serait bien passée. Mais ce n’est rien à côté des difficultés que le Mali doit affronter du fait de cette nouvelle crise.
Car pour le Mali, c’est l’unité territoriale du pays qui est en jeu. Le pouvoir central de Bamako n’a pas les moyens d’imposer son autorité sur toutes les régions du pays. L’Etat central est absent de vastes territoires du nord et du nord-est. L’armée malienne, sous-équipée, insuffisamment formée, ne disposant pas des ressources financières requises dans un pays parmi les plus pauvres du monde, n’a même pas la capacité d’envoyer des troupes dans certaines zones.
Malgré ces handicaps, le pouvoir malien a opté pour la manière forte. C’est d’ailleurs un classique: face à une rébellion armée, les militaires au pouvoir pensent que si la répression n’a pas donné de résultats, c’est parce qu’ils n’ont pas tapé assez fort. Ceux du Mali accusent les pouvoirs précédents de ne pas avoir combattu suffisamment différentes guérillas, et reprochent à l’armée française, restée une décennie au Mali, de n’avoir rien fait contre les «terroristes».
En remplaçant les français par les russes, les militaires maliens pensent imposer leur pouvoir dans tout le pays. Ils dénoncent donc l’accord d’Alger, en janvier 2024, se lancent dans des opérations militaires hasardeuses, pour se retrouver confrontés aux mêmes réalités: la solution militaire est inopérante. L’apport de drones et des troupes russes de Wagner n’y changera rien. Ce sera juste un facteur d’aggravation du conflit.
L’incident du drone du 31 mars permet aux autorités maliennes de présenter momentanément la situation dans le pays sous un aspect un peu différent. Mais le réel reprendra rapidement le dessus. Car s’il est facile de faire un coup médiatique, y compris en se brouillant avec un partenaire incontournable, il n’est pas aussi facile de transformer le réel.
C’est ce qu’a montré l’histoire du Mali pendant la dernière décennie. Bamako a refusé d’engager les réformes politiques et institutionnelles pour intégrer de larges franges des populations du nord. La menace terroriste apparue il y’a dix ans a été vue comme une aubaine: pour contenir la «menace terroriste», Bamako fait appel à l’armée française, puis aux troupes de Wagner, mais cela a permis d’occulter les réformes promises. Et le Mali est resté dans une impasse politique et institutionnelle.
L’incident du drone risque d’avoir le même effet: développer un discours belliciste, guerrier, se créer de nouveaux ennemis, trouver prétexte pour se réarmer par tous les moyens, quitte à changer de protecteur.
Mais pendant ce temps, le Mali ne sera pas sorti de l’impasse. Il l’aura même renforcée.