Ahmed Abdelkrim
Un parfum de crispation flotte à nouveau entre Paris et Alger. Depuis plusieurs semaines, les relations franco-algériennes connaissent un regain de tension. Cette fois, l’irritation française semble directement liée à l’intensification du partenariat algéro-italien. La visite du président Abdelmadjid Tebboune à Rome, fin juillet 2025, a été le déclencheur visible d’une réaction française mêlant maladresse diplomatique, postures néocoloniales et anxiété géopolitique. Mais au-delà de l’écume, cette brouille révèle un déplacement plus profond : l’Algérie s’affirme comme acteur souverain dans un échiquier euro-méditerranéen en recomposition, tandis que la France s’enlise dans ses propres impasses économiques, sociales et stratégiques.
L’Italie sur le devant de la scène, la France sur la défensive
À Rome, le président Tebboune a été reçu avec tous les honneurs. La visite s’est soldée par la signature de plus de 40 accords bilatéraux : énergie, agriculture, industrie, éducation, sécurité… autant de domaines-clés dans lesquels l’Italie s’implante durablement en Algérie. Au centre de ces accords, le contrat entre Sonatrach et ENI, d’un montant de 1,35 milliard de dollars, portant sur l’exploitation conjointe du champ gazier de Zemoul El Kbar. Objectif : 5,5 milliards de m³ de gaz livrés par an à partir de 2028, dans une Europe en quête de sécurité énergétique.
Autre annonce stratégique : un méga-projet agricole dans le sud algérien, mobilisant 420 millions d’euros, piloté par le géant italien Bonifiche Ferraresi, sur une superficie de 36 000 hectares. Il s’agit là non seulement de renforcer la souveraineté alimentaire de l’Algérie, mais aussi d’offrir une plateforme d’exportation vers l’Europe.
Ces initiatives ne sont pas isolées : le commerce bilatéral algéro-italien a atteint près de 14 milliards d’euros en 2024, confirmant Rome comme premier partenaire économique européen de l’Algérie, loin devant Paris. Une reconfiguration discrète, mais décisive.
Paris déstabilisée : impuissance d’une ex-puissance
Face à cette dynamique, Paris semble dépassée. Longtemps considérée comme interlocuteur privilégié — parfois auto-proclamé — de l’Algérie, la France peine désormais à se positionner autrement que dans la nostalgie d’un passé tutélaire. Les crispations récentes témoignent moins d’une stratégie cohérente que d’une gêne palpable : jalousie diplomatique, perte d’influence et incapacité à s’adapter au nouveau logiciel de souveraineté algérienne.
Le malaise français se conjugue à une crise interne multiforme. La dette publique atteint 3 345 milliards d’euros, soit 114 % du PIB, avec un service annuel dépassant les 60 milliards d’euros, ce qui pèse plus lourd que l’ensemble du budget de la défense nationale. La France est désormais le pays le plus endetté d’Europe de l’Ouest après l’Italie. Pour 2025, le Trésor public prévoit 300 milliards d’euros d’emprunts nouveaux, principalement pour refinancer la dette existante.
Une fuite en avant budgétaire.
Sur le plan politique, le gouvernement est affaibli, contesté à droite comme à gauche. La rentrée sociale s’annonce difficile : hausse des prix, stagnation des salaires, et une colère populaire latente — dont les Gilets Jaunes constituent toujours la mèche prête à s’enflammer.
Dans ce climat d’instabilité, le réflexe diplomatique français vis-à-vis de l’Algérie oscille entre arrogance et fébrilité, comme si frapper du poing sur la table pouvait masquer la perte de levier sur le continent africain.
L’Algérie, une stratégie de diversification assumée
En miroir, l’Algérie développe une stratégie extérieure mûrement réfléchie : diversification des partenariats, affirmation de sa souveraineté économique, et repositionnement comme acteur méditerranéen pivot.
Outre l’Italie, l’Allemagne manifeste un intérêt croissant pour un partenariat renforcé dans les domaines de l’énergie renouvelable, des infrastructures et de la formation professionnelle. Déjà impliquée dans plusieurs projets industriels (sièges Mercedes-Benz, turbines électriques avec Siemens), Berlin voit en Alger une alternative stable dans un Maghreb volatil.
La Chine, la Turquie, la Russie, mais aussi les pays du Golfe font également partie de cette diplomatie plurielle, où la France n’est plus qu’un partenaire parmi d’autres — souvent en retrait, rarement décisif.
Une France en perte d’influence en Afrique
À cela s’ajoute un fait géopolitique majeur : la France a perdu pied en Afrique. En quelques années, elle a été poussée hors du Mali, du Burkina Faso, du Niger, et bientôt du Tchad, par des dynamiques populaires et militaires dénonçant une présence jugée néocoloniale. L’influence française s’effondre dans ce que certains appelaient encore le "pré carré".
Dans ce contexte, l’Algérie apparaît comme un partenaire plus crédible, plus respecté, et surtout plus souverain. Elle agit dans l’intérêt de ses propres priorités stratégiques : sécurité énergétique, développement économique, stabilité régionale.
La fin des illusions françaises
Ce regain de tensions entre Paris et Alger n’est pas un accident. Il illustre une rupture structurelle : l’Algérie n’est plus en position d’attente, elle agit. La France, elle, est en repli, en réaction, parfois même en déni.
Dans le concert des nations, les postures moralisantes ne suffisent plus. Le respect des souverainetés, l’égalité des partenariats, la lucidité historique sont désormais les clés d’une diplomatie du XXIe siècle.
L’Algérie, forte de son histoire, de ses ressources et de son rôle central en Méditerranée, trace sa voie. Il appartient à la France de décider si elle veut y marcher en partenaire — ou rester en arrière, prisonnière de ses illusions perdues.