Abed Charef
Mercredi 7 août 2025, le président président français Emmanuel Macron a décidé de jouer les gros bras face à l’Algérie. Il a affirmé que la situation «exige que la France agisse avec plus de fermeté et de détermination» dans la crise algéro-française. Dans une surenchère plutôt inhabituelle, il s’est lancé dans un nouveau coup de com, supposé à la fois marquer son second mandat et faire plier l’Algérie.
Résultat: un an après avoir engagé la relation franco-algérienne dans une impasse, M. Macron a délibérément choisi d’aggraver la crise, alors que la France est le premier perdant de cette confrontation.
Comment expliquer une attitude aussi contre-productive, aussi peu rationnelle? Difficile à dire.
Sanctions absurdes
Dans la forme, le président français a choisi de faire fuiter une lettre adressée à son premier ministre François Bayrou, pour définir le nouveau cap dans la gestion de la relations algéro-française. Il y’a un an, il avait déjà envoyé une lettre au Roi Mohamed VI du Maroc pour lui affirmer que Paris rejoint la position marocaine sur le Sahara Occidental, ce qui avait sonné le début de la crise algéro-française.
Ce procédé consistant à recourir à une lettre est élémentaire, mais il marche. Il permet de prendre un virage politique, et de l’imposer aux autres acteurs de la vie politique de son pays.
Mais si M. Macron affirme, de manière martiale, que «la France doit être forte et se faire respecter», sa démarche ne mène pas bien loin. Car les mesures qu’il préconise n’ont aucune consistance. Priver la nomenklatura algérienne de voyages en France et suspendre l’accord de 2013 sur la circulation des titulaires de passeports diplomatiques n’a aucun effet: l’Algérie a décidé de ne plus recourir à l’accord de 2013, et a invité les officiels à ne plus se rendre en France ni à passer par les aéroports français. D'ailleurs, aussitôt la lettre de M. Macron lue, l'Algérie a annoncé qu'elle dénonce purement et simplement cet accord, et qu'elle va en informer officiellement la partie française
Les autres mesures sont du même ordre. Elles rappellent la fameuse «réponse graduée» du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, et le ridicule ultimatum lancé par François Bayrou le 26 février pour exiger la libération de Boualem Sansal.
Des arguments sans consistance
Plus délicat: Emmanuel Macron dit des contre-vérités. Au moins sur deux points.
Il parle d’un «attentat» de Mulhouse, où un homme a été tué le 17 février. Il avait déjà parlé d’un «attentat terroriste». Or, le meurtrier est un déséquilibré. C’est le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau lui-même, un homme qu’on ne peut soupçonner de sympathie avec l’Algérie, qui le dit. Selon M. Retailleau, le suspect avait «un profil schizophrène» et son acte «une dimension psychiatrique». Comment qualifier d’attentat terroriste le meurtre commis par un déséquilibré?
M. Macron affirme aussi que «tout retour à la normale» dans la coopération algéro-française «nécessitera que l’ambassade (de France) à Alger recouvre les moyens de son action». Or, ce sont les autorités françaises qui ont violé, en premier, les règles de protection de la valise diplomatique, l’Algérie décidant ensuite de mesures de réciprocité. Les échanges engagés ensuite par les deux pays, par le biais des chargés d’affaires (les ambassadeurs ont tous deux été rappelés), ont même permis d’établir que les restrictions auraient été prises par le ministère français de l’intérieur, sans l’avis du ministère français des Affaires étrangères.
Mais là où les propos de M. Macron perdent toute crédibilité, c’est lorsqu’il évoque la dette hospitalière, supposée due par la sécurité sociale algérienne aux établissements hospitaliers français. Celle-ci est évaluée à quelques millions d’euros, dont une partie contestée. Que représente une somme aussi dérisoire par rapport aux dizaines de millions de quintaux de céréales que la France exportait traditionnellement vers l’Algérie, et qui sont aujourd’hui au point zéro? Est-il raisonnable d’évoquer un dossier aussi léger que la dette hospitalière, quand on a provoqué la disparition des céréaliers français du marché algérien, et le recul français tous produits confondus?
Intérêts français au second plan
Ce souci peu marqué de M. Macron pour les intérêts diplomatiques, économiques et commerciaux français intrigue. Il suppose que le chef de l’État français est animé par d’autres motivations. Lesquelles?
Là, on se perd en conjectures. Jeu politique interne, souci de préserver la droite dure pour éviter une chute de gouvernement Bayrou, agenda externe, volonté de peser sur la présidentielle de 2027 qui risque de se jouer très a droite, agenda international lié à la Palestine ou au Sahara Occidental, considérations toutes personnelles, de nombreuses hypothèses sont évoquées. Mais aucune certitude n’émerge pour le moment.
Les erreurs du Président Tebboune
Ce qui, par contre, devient plus évident, c’est le pari perdu de M. Tebboune. Le chef de l’État algérien a en effet soigneusement ménagé M. Macron, répétant à chaque occasion qu’il n’avait pas de problème avec le président français. Tebboune a systématiquement attribué les velléités anti-algériennes à une extrême-droite et une droite dure animées par une matrice coloniale très ancrée.
Il est vrai que M. Macron semblait, à ses débuts, habité par une culture politique très différente. Sans lien avec l’histoire coloniale ni avec l’Algérie, il n’avait pas hésité à qualifier le colonialisme de «crime contre l’humain» durant sa campagne de 2017. Cette attitude lui avait même permis d’entraîner le président Tebboune dans une impossible commission d’historiens, supposée régler l’histoire de la mémoire.
Comment peut-on espérer réconcilier colon et colonisé? L’erreur de M. Tebboune est manifeste, aussi bien sur le personnage Macron que sur cette manière d’aborder l’histoire.
De plus, la partie algérienne n’est pas exempte de tout reproche, car elle n’a pas réussi à exploiter les dispositions plutôt favorables que laissait entrevoir M. Macron pendant plusieurs années.
Mais pour le moment, c’est une page qui se ferme. Sans perspectives d’amélioration. Une nouvelle page ne sera visiblement possible qu’avec les successeurs de MM. Macron et Tebboune.