Par Abed Charef
Dans le bras de fer algéro-français qui est allé jusqu’à l’expulsion de douze diplomates de chaque pays, et le rappel des ambassadeurs, il est difficile de dire s’il y’a un vainqueur. Par contre, il est aisé d’établir les dommages collatéraux : l’image de l’Algérie s’est dégradée en France, et la communauté algérienne est mise davantage sous pression, alors que de l’autre côté, l’économie française a beaucoup perdu, et la France a confirmé, aux yeux d’une majorité écrasante de l’opinion algérienne, qu’elle reste un pays hostile.
Dans cet affrontement, pouvoir et faiseurs d’opinion des deux pays se sont essentiellement adressés à leur propre opinion. Même si la version française parvient à l’opinion algérienne, où elle est toutefois massivement rejetée, alors que la vision algérienne des choses ne parvient pas du tout à l’opinion française, en dehors de quelques cercles initiés.
Ceci transparait assez clairement à travers quelques faits, où la mauvaise foi de la partie française (il est difficile d’appeler cela autrement), a eu raison de l’argumentaire algérien, aussi rigoureux soit-il.
Mauvaise foi
Cette mauvaise foi s’est manifestée par exemple lorsque « l’influenceur » algérien Doualem, faisant l’objet d’une OQTF, a été expulsé vers l’Algérie le 9 janvier, ce à quoi les autorités algériennes ont répondu en le renvoyant le jour même en France. Pour la partie française, l’affaire était caricaturée en un refus de l’Algérie d’accueillir ses mauvais ressortissants après avoir refusé de leur délivrer un laisser-passer consulaire, acte aggravé cette fois-ci par l’outrecuidance de le renvoyer immédiatement en France, par le premier avion. Un geste vu comme une « humiliation ».
La réponse de la partie algérienne était pourtant argumentée : Doualem avait des droits qui n’avaient pas été respectés par l’administration française. Le rôle du consulat d’un pays, c’est précisément de défendre ces droits.
Les autorités françaises ont discrètement reconnu le bien-fondé de cet argumentaire, confirmé par la justice française qui a reconnu la non validité de la décision d’expulsion de Doualem. Mais cette version n’a pas trouvé beaucoup d’écho en France.
Pour l’auteur d’un meurtre à Mulhouse, c’était encore plus grave. Le président Emmanuel Macron a dénoncé ce qu’il a qualifié d’acte terroriste, et le ministre de l’intérieur français Bruno Retailleau a répété des dizaines de fois que l’auteur du meurtre avait fait l’objet de quatorze OQTF, que l’Algérie avait refusé d’exécuter.
La réalité est cependant différente. L’auteur du meurtre était un déséquilibré. M. Retailleau lui-même l’a reconnu. Comment imputer un acte « terroriste » à un déséquilibré ? De plus, un malade est supposé être soigné dans le pays où il a travaillé et où il a cotisé à des caisses de sécurité sociale, non à être expulsé. C’est pour cette raison, entre autres, que l’Algérie refusait de l’accueillir, tant que ce ne serait pas sa volonté ou celle de sa famille.
Un jeu interne trouble en France
Dans l’affaire de l’agent consulaire algérien arrêté en France le 8 avril, les choses sont tout aussi troublantes. Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères, s’était rendu à Alger le 6, pour consacrer une normalisation entamée par l’appel téléphonique entre les deux chefs de l’Etat survenu le 31 mars.
M. Barrot avait-il été mis au courant de l’arrestation de l’agent consulaire en se rendant à Alger ? Si c’est le cas, il aurait délibérément caché le fait à ses interlocuteurs algériens, en sachant le tort que cette décision allait provoquer.
Mais il est plus probable qu’il n’avait pas été mis au courant, ce qui signifierait qu’il était sur une démarche politique qui a été délibérément torpillée par son collègue de l’intérieur.
En effet, l’arrestation en question soulève deux points qui ne peuvent être occultés. Arrêter un agent consulaire étranger bénéficiant de privilèges immunitaires impose d’informer la hiérarchie, jusqu’au ministre concerné. Celui-ci ne peut ne pas informer son collègue des affaires étrangères et de la justice, voire le président de la République dans une période de crise pareille. Ce qui ne semble pas avoir été fait.
En outre, un agent consulaire ne peut être placé en détention, y compris s’il commet un crime, sans une procédure et des règles visant à informer l’ambassade du pays concerné. Ce qui n’a pas été fait non plus.
La force de frappe d’un système médiatique
Ces procédures n’ont pas été respectées. Elles ont même été balayées d’un revers de la main par les autorités françaises et les faiseurs d’opinion, comme le journal Le Monde, qui a écrit, dans un éditorial méprisant, que la réaction algérienne laisse « supposer que l’enlèvement d’opposants fait partie des fonctions officielles du personnel diplomatique algérien ». Le même journal estime nécessaire de « rappeler à Alger que la justice française est indépendante ».
Evidemment, prétendre que la justice algérienne peut être indépendante n’entre pas dans la matrice de la partie française. Rappeler que Boualem Sansal est un justiciable algérien, traduit devant la justice algérienne, pour répondre de faits et propos considérés comme délictueux par la loi algérienne, est totalement exclue chez la partie française, pour qui M. Sansal est un otage, et sa condamnation une violation de la liberté d’expression. Point barre.
Là, on n’est pas face à de l’incompréhension, mais face à deux mondes qui se rejettent, l’un profitant de sa supériorité en matière de propagande pour imposer sa suprématie. Pour aller jusqu’à utiliser la menace de pressions supplémentaires pour arriver à ses fins. Quelles pressions ? Toutes se révèlent des pétards mouillés. Visas, abrogation d’accords de 1968 et 2007, rien ne se révèle efficace. Mais la machine continue à tourner à vide.
Par contre, le système médiatique français ne tourne pas à vide. Il produit de la haine. Et du mensonge. Comme lorsque M. Macron déclare que M. Sansal est privé de soins. Ou que des soutiens de M. Sansal affirment que son avocat a été interdit d’entrer en Algérie parce que juif. Des mensonges qui ont largement circulé, et qui prouvent que la mauvaise foi, appuyée par un puissant système médiatique et une armée forte, ça peut payer.
Mais cela, on le savait depuis que des armes de destruction massives ont été découvertes en Irak, et que l’OTAN est allée protéger les civils libyens et leur apporter la démocratie.