Ahmed Abdelkrim
L’histoire est tristement banale à l’ère du numérique : une vidéo publiée par une blogueuse, sans preuve, sans expertise, sans confrontation contradictoire, mais avec une force de frappe virale redoutable, suffit à entacher l’image d’une entreprise. Cette fois, c’est la société algérienne Bellat qui se retrouve au cœur d’un emballement numérique accusatoire. Le crime ? Produire des aliments… en Algérie.
Dans une courte séquence largement relayée sur les réseaux sociaux, une influenceuse – inconnue jusque-là – pointe du doigt un produit de la marque, l'accusant d’être cancérigène. Ni source scientifique, ni rapport d’analyse, ni enquête journalistique ne viennent étayer ses propos. Simple opinion devenue vérité algorithmique, portée par l’émotion, le soupçon et une forme de facilité coupable : celle de s’ériger en procureur public à l’aide d’un smartphone.
Mais au-delà du cas Bellat, c’est un phénomène plus profond et plus inquiétant qu’il faut interroger : pourquoi les entreprises algériennes sont-elles si souvent les cibles de telles accusations ? Pourquoi, systématiquement, mettre en doute leur capacité à respecter les normes, à garantir l’hygiène, à innover, à exporter ? Pourquoi tant de scepticisme à l’égard de ce qui est produit ici ?
Une entreprise exemplaire, prise pour cible
Fondée sur des standards de qualité reconnus, certifiée aux normes internationales, dotée d’un matériel de haute technologie, d’un parc roulant performant, d’équipes formées et de procédures d’hygiène strictes, Bellat est pourtant l’un des fleurons de l’agroalimentaire algérien. Elle s’inscrit dans cette nouvelle génération d’entreprises locales qui n’ont rien à envier à leurs concurrentes internationales : elles investissent, exportent, créent de l’emploi, modernisent leur outil de production.
Bellat, comme tant d’autres, incarne cette Algérie industrielle qui avance. Et cela semble déranger. Ce n’est pas la première fois que la marque est visée. Toujours sans fondement, toujours sans que l’on prenne le soin de lui demander des éclaircissements. Et toujours avec le même préjugé latent : "ce qui est produit en Algérie ne peut pas être aux normes".
Le poison du soupçon
Ce réflexe – quasi pavlovien – de dénigrer ce qui est local, de suspecter en bloc les entreprises nationales, de leur prêter toutes les tares possibles, interroge sur notre rapport à nous-mêmes. Il y a là une forme de complexe postcolonial, qui pousse certains à croire que l’excellence ne peut venir que d’ailleurs. Que les standards de qualité sont forcément étrangers. Que les Algériens ne sauraient produire sans tricher.
Ce doute systématique n’est pas neutre. Il alimente une culture de la méfiance, fragilise les entreprises locales, démotive les salariés, freine l’innovation. Et surtout, il expose à une diffamation constante, qui, dans un État de droit, doit être sanctionnée.
Entre éthique numérique et responsabilité citoyenne
Il est temps d’interroger la légitimité de la parole numérique. Publier une vidéo, aujourd’hui, c’est facile. Mais mesurer l’impact de ses mots ? Beaucoup moins. Une entreprise, ce sont des dizaines, des centaines, parfois des milliers de familles qui en dépendent. Diffamer, ce n’est pas juste nuire à une marque : c’est compromettre des emplois, miner la confiance, fragiliser tout un tissu économique.
La liberté d’expression, si chère à notre époque, ne doit jamais être confondue avec la liberté de nuire. Et s’il appartient à la justice de trancher en cas de diffamation, il revient à la société toute entière – journalistes, consommateurs, influenceurs – de restaurer une éthique de la responsabilité dans la prise de parole publique.
Vers une fierté assumée
Il y a urgence à changer de regard sur la production nationale. Non pas par chauvinisme aveugle, mais par réalisme et dignité. L’Algérie dispose d’entreprises solides, compétentes, ambitieuses. Elles ont besoin d’un écosystème favorable, d’un consommateur lucide, fier, exigeant mais juste.
C’est dans cette optique que l’idée d’un "Label Proudly Algerian" prend tout son sens : non pas comme un simple slogan marketing, mais comme un acte de reconnaissance, une réhabilitation symbolique de ce qui est fait ici, par des Algériens, pour les Algériens et au-delà.
Le combat est culturel autant qu’économique. Il commence par une question simple : quand cesserons-nous de croire que nos produits ne sont pas dignes ? Quand commencerons-nous à valoriser ce qui marche, ce qui se développe, ce qui s’exporte, ici même, sur notre sol ?
Il est temps de redonner au consommateur algérien la place qui lui revient : celle d’un acteur lucide, capable de discernement, et non d’un simple relais des humeurs numériques. Non, le consommateur algérien n’est pas un éternel assisté. Il sait faire la différence entre une rumeur infondée et une information vérifiée, entre un produit de qualité et une fabrication douteuse.
Nos produits sont bons. Nos entreprises investissent, innovent, se modernisent. Elles respectent les normes. Elles méritent mieux que le mépris et la suspicion. Elles méritent notre exigence, pas notre haine.
Revaloriser la production nationale, ce n’est pas fermer les yeux sur ses défauts. C’est au contraire l'encourager à s'améliorer dans un climat de confiance, de dialogue et de fierté assumée. Car la véritable modernité, ce n’est pas de singer l’étranger : c’est de croire, enfin, en nous-mêmes.